Cerveau et Psycho N°113 – Septembre 2019

(Ron) #1
NOTRE CORPS DéTERMiNE NOTRE RAPPORT Au MONDE

DOSSIER QUAND LE CORPS STIMULE LA PENSÉE


NOTRE CORPS DéTERMiNE NOTRE RAPPORT Au MONDE

donnant à boire à certains partici-
pants une boisson sucrée, et aux
autres une boisson additionnée d’un
édulcorant qui donnait un goût sucré
mais sans apporter d’énergie sous
forme de glucose, ceux qui ont bu la
boisson sucrée ont estimé la pente
moins raide que les autres. C’est un
indice fort que nous percevons la réa-
lité en fonction des états internes de
notre corps, sans forcément en avoir
conscience, car les participants ne
savaient pas si leur boisson était réel-
lement sucrée ou non, et les deux ont
été appréciées de la même façon.

Les sportifs utilisent
couramment leur corps
en situation de prise
de décision. Sont-ils
particulièrement sujets
à de tels effets?
Effectivement, leur perception d’une
situation est aussi influencée par
l’effort passé, et par l’historique des
succès et des échecs. Ainsi, lorsqu’on
demande à des volontaires de lancer
un ballon dans un panier de basket,
on s’aperçoit qu’après avoir échoué
dans leurs lancers, ils ont une per-
ception altérée du diamètre du
panier, puisqu’ils le jugent plus
petit! Par ailleurs, des études sur

des joueurs de baseball ont montré
que dans des jours de mauvaise
forme, ils donnent des estimations
plus faibles du diamètre des balles.
Les amateurs de tennis se souvien-
dront peut-être aussi qu’à l’issue
d’une finale de Wimbledon rempor-
tée haut la main, le tennisman John
McEnroe avait déclaré voir la balle
grosse comme un pamplemousse...

Comment cela s’explique-t-il?
Dans le cadre de la cognition incar-
née, la vision dépend des sensations
du corps : lorsque celui-ci a mémo-
risé des centaines de situations où le
sentiment de facilité était associé à
la taille d’un objet (plus facile à voir,
à attraper), si pour une raison ou
une autre il éprouve un jour un fort
sentiment de facilité, il va littérale-
ment rétroagir sur les perceptions
visuelles en construisant l’image
d’un objet de plus grande taille.

Notre corps influe-t-il aussi
sur les aspects émotionnels
de nos expériences
et de nos choix?
Tout d’abord, notre attrait pour cer-
taines personnes ou certains concepts
dépend en partie de nos actions
motrices. Par exemple, si je vous fais

Bibliographie

D. Casasanto,
Embodiment of
Abstract Concepts :
Good and Bad in Right-
and Left-Handers,
Journal of Experimental
Psychology : General,
vol. 138, pp. 351-367,
2009.
A. Mangen et al.,
Comparing
Comprehension
of a Long Text Read
in Print Book and
on Kindle: Where
in the Text and When
in the Story? Frontiers
in Psychology, vol. 10,
pp. 1-38, 2019.
G. T. Vallet, Embodied
cognition of aging,
Frontiers in Psychology,
vol. 6, pp. 1-6, 2015
R. Versace et al.,
Cognition Incarnée :
une cognition située
et projetée, Mardaga,
2018.

Quel à-pic!
Plus le sac est lourd,
plus nous avons
l’impression que
la montagne est
abrupte. Car notre
corps évalue la réalité
d’après ses sensations.


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