côtés de notre nature. Il ne s’agit pas de nier l’exis-
tence de ces derniers, mais de comprendre qu’ils
coexistent avec des motivations moins nobles.
Plutôt que de dénicher d’hypothétiques anges en
nous, mieux vaut chercher à faciliter les choix de
chacun pour aller, collectivement, vers un monde
meilleur.
Un autre exemple de drame sociologique qui a
soulevé l’enthousiasme du public est la série The
Wire, de David Simon. Elle traite de la criminalité
dans la ville de Baltimore, en suivant ceux qui la
vivent au quotidien : Afro-Américains des quartiers
pauvres, policiers, journalistes, enseignants...
Cette série, elle aussi, tue régulièrement ses per-
sonnages principaux sans perdre son public. Autre
élément intéressant, la vedette de chaque saison
est une institution plutôt qu’une personne. La deu-
xième saison, par exemple, se concentre sur la dis-
parition de la classe ouvrière syndiquée aux États-
Unis, la quatrième sur les écoles et la dernière sur
le rôle du journalisme et des médias de masse.
Heureusement pour The Wire, le contrôle
créatif ne s’est jamais déplacé vers les scénaristes
hollywoodiens standards, qui nous auraient
donné des individus à soutenir ou à détester sans
nous montrer les circonstances qui les façonnent.
Dans cette série, on peut comprendre tous les
personnages, pas seulement les bons (et en fait,
aucun d’entre eux n’est juste bon ou mauvais).
Quand c’est le cas, vous savez que vous regardez
une histoire sociologique.
Hélas, Game of Thrones n’a pas su tenir cette
approche jusqu’au bout. À partir de la sixième
saison, l’histoire a dépassé ce qui avait été publié
par George R. R. Martin. Les puissants showrun-
ners (auteurs-producteurs chargés du suivi quo-
tidien sur une série) d’Hollywood David Benioff
et Daniel Brett Weiss se sont alors chargés d’ima-
giner la suite. C’est à partir de là que la narration
s’est déplacée de la sociologie vers la psychologie
- même si le duo s’en est probablement tenu aux
grandes lignes qui leur ont été données par
George R. R. Martin. C’est la façon principale
dont Hollywood et la plupart des scénaristes de
télévision racontent des histoires.
CATASTROPHE, LE HÉROS N’EST PAS MORT!
Fait révélateur, la huitième saison a choqué
de nombreux téléspectateurs en... ne tuant pas
d’entrée de jeu un personnage principal. C’était
le premier grand indicateur du changement :
désormais, le poids de l’histoire reposerait sur les
individus et non sur les aspects sociologiques.
Dans cette veine, les scénaristes ont attribué des
rôles clés aux personnages préférés des fans,
comme Arya Stark, qui sauve la mise à tout le
monde en tuant le chef de l’armée des morts-
vivants d’un improbable coup de poignard.
Jusque-là, la série s’était concentrée sur la
façon dont les rivalités des puissants étaient
affectées par une menace extérieure – les morts-
vivants, précisément. Après avoir tué l’une des
principales tensions sociologiques par ce coup de
couteau bien placé, Benioff et Weiss ont ruiné le
second ressort sociologique qui animait Game of
Thrones : la corruption du pouvoir.
Nul autre personnage n’illustre mieux cette
corruption que Cersei Lannister, l’épouse de l’an-
cien roi, qui accède elle-même au trône. Elle
passe ainsi du statut de victime (bien qu’égoïste,
elle était trompée et délaissée par son mari) à
celui de monarque maléfique. Une issue qui guet-
tait également sa principale rivale, Daenerys
Targaryen : après avoir libéré tous les esclaves et
prisonniers qu’elle a croisés sur son chemin et
effectué des choix moraux qui lui ont coûté cher,
elle s’était laissé façonner, saison après saison,
par les puissants outils dont elle disposait – en
particulier les dragons.
Du point de vue sociologique, la métamorphose
de Daenerys en meurtrière de masse aurait été une
histoire forte et passionnante. La perversion causée
par le pouvoir est l’une des dynamiques psychoso-
ciales les plus importantes, qui a causé de multiples
dégâts dans l’histoire. Les dirigeants ont tendance
à s’isoler, en dehors des flagorneurs dont ils s’en-
tourent, et à succomber à l’habitude humaine de
l’autorationalisation. Nombre de leaders histo-
riques destructeurs croyaient devoir rester au pou-
voir parce que ce sont eux, et eux seuls, qui pou-
vaient diriger le peuple. Comme Daenerys,
plusieurs d’entre eux ont commencé dans l’opposi-
tion, avec les meilleures intentions du monde, et
ont fini par se transformer en tyrans.
Hélas, ce virage tourne à la caricature dans
Game of Thrones. Daenerys attaque la capitale
Tout au long de la série,
Cersei Lannister se
transforme peu à peu en
despote, sous l’influence
d’une dynamique
psychosociale bien
connue : la perversion
causée par le pouvoir.
Sa principale rivale,
Daenerys Targaryen,
ne bénéficie pas d’un
traitement aussi fin :
dans la dernière saison,
elle se met brusquement
à tout détruire, comme si
ses « gènes tyranniques »
se réveillaient!
© HBO/OCS
(capture d’écran)