Le Monde - 21.08.2019

(Jeff_L) #1
0123
MERCREDI 21 AOÛT 2019 culture| 15

Faire de l’existence


un poème permanent


Alireza Motamedi signe un premier long­métrage


dont il est aussi l’interprète principal et le producteur


REZA


S


urgi discrètement en
queue de cortège des sor­
ties estivales, l’atypique et
attachant Reza risque
bien de déjouer l’image que l’on se
fait du cinéma iranien tel qu’il ar­
rive habituellement sur nos
écrans. Point ici de savant
brouillage entre fiction et réalité
(Abbas Kiarostami, Jafar Panahi),
ni d’épineux guêpier moral (As­
ghar Farhadi), mais une délicate et
drolatique étude de mœurs, qui
n’est pas sans frayer avec certains
modèles occidentaux, notam­
ment celui de l’ego­trip urbain et
sentimental façon Woody Allen.
Ce premier long­métrage est
l’œuvre d’Alireza Motamedi, spé­
cialiste en littérature persane né
en 1978, et que précède une car­
rière déjà non négligeable de ro­
mancier, poète, conteur, critique
de cinéma et scénariste. Prolifique
et hyperactif, Motamedi s’inscrit
d’entrée de jeu dans la catégorie
des cumulards, qui, non content
d’écrire et réaliser son film, en est
également le producteur et l’inter­
prète principal.
Le passage d’Alireza à Reza, et
donc de l’auteur à son person­
nage, ne nous dit pas si le récit est
autobiographique, mais suggère à

quel point il est personnel, proche
de lui. Reza est lui aussi un artiste
(écrivain et architecte) que l’on dé­
couvre au moment critique de sa
séparation d’avec sa femme Fati
(Sahar Dolatshahi) après neuf ans
de mariage. Pourtant, entre elle et
lui, ni cri, ni larme, ni règlement de
compte, mais une complicité
inentamée, comme s’ils n’avaient
jamais été aussi proches. A tel
point qu’ils en viennent à concoc­
ter un numéro de toutes pièces
pour comparaître avec plus de cré­
dibilité devant le juge des divorces.

Un type de masculinité à part
Toujours amoureux, Reza traîne
sa dégaine bonhomme et légère­
ment déphasée dans les rues et
sur les ponts d’Ispahan, la ville sa­
favide comme sortie d’un rêve de
beauté. Il fait ainsi la rencontre de
Violet (Setareh Pesyani), tenan­
cière chrétienne d’un café peu

achalandé. Mais les retours intem­
pestifs de Fati auprès de lui l’em­
pêchent de nouer une quelconque
relation et le replongent à chaque
fois dans un amour qui ne veut
pas mourir.
Des raisons du départ de Fati, le
film ne dira rien, même si on les
devine à demi­mot (désir d’indé­
pendance, envie d’aller voir
ailleurs). Il s’attache plutôt à cette
brèche d’indécision qu’ouvre
pour Reza la sortie hors d’une con­
jugalité érigée en modèle norma­
tif (lui et Fati s’inquiètent des réac­
tions de leurs parents). Fait de con­
versations avec, tout à tour, des
cousines, d’anciennes amies ou
des rencontres amoureuses, le
film replace son personnage dans
l’écheveau d’un rapport plus gé­
néral aux femmes. Des relations
qui, pour une fois, ne sont pas pré­
sentées sous l’angle d’une domi­
nation unilatérale, mais d’une
ouverture et d’une curiosité facili­
tées par le milieu bourgeois dans
lequel elles s’inscrivent.
Reza, avec sa barbe rousse aux
accents nordiques, présente lui­
même un type de masculinité à
part, résolument non conqué­
rante, assouplie par l’embonpoint,
s’exprimant avec une voix douce
et des mots imprégnés de poésie.
Déjouant des clichés sur la société
iranienne, ici saisie sous son profil
le plus moderne, le film peut se

voir comme une ode aux femmes
qui la composent, aussi bien
qu’aux visages rayonnants des ac­
trices qui les incarnent.
Découpé en saynètes, Reza affi­
che une mise en scène simple, par­
fois quelque peu monolithique,
mais dont les prises longues ser­
vent judicieusement le naturel et
la bonne alchimie entre les comé­
diens, d’un charme et d’une spon­
tanéité confondants. Motamedi
compose des cadres soignés, ja­
mais écrasants, qui saisissent les
lumières radieuses, la musicalité
nocturne, les perspectives somp­
tueuses d’Ispahan, sertissant la
dérive du personnage d’un écrin

rêveur. Le film prône ainsi un rap­
port esthétique au monde, une
aptitude à sublimer les passages à
vide ou les accidents de la vie, à
faire de l’existence, fût­elle insi­
gnifiante, la source d’un poème
permanent – comme en témoigne
le conte sur la fondation d’Ispa­
han que Reza décline en voix off et
en perse ancien.
S’il se tient hors du champ poli­
tique, c’est non sans retrouver par
la bande une politique toute per­
sonnelle de disponibilité envers
la beauté du monde et des autres.
Et si Alireza Motamedi se place
lui­même au centre de cette
ronde sentimentale assez peu

Le film prône
un rapport
esthétique
au monde,
une aptitude
à sublimer les
passages à vide

Fausse pièce de théâtre


dans une tour parisienne


Olivier Ducastel et Jacques Martineau mettent en scène un huis clos
ludique et inquiétant et explorent les affres des relations perverses

HAUT  PERCHÉS


L


e Paris pop et coloré
d’Olivier Ducastel et Jacques
Martineau a souvent agi
comme un philtre enchanteur,
grâce auquel les histoires les plus
dramatiques prennent de la hau­
teur et transitent, presque légères,
jusqu’aux spectateurs telles des
bulles de savon. De la comédie
musicale Jeanne et le garçon formi­
dable (1998), sur le bassin de La Vil­
lette, à la rencontre sous néon fluo
de Théo et Hugo dans le même ba­
teau (2016), non loin de Châ­
teau­d’Eau, les réalisateurs ont
pris le parti de sublimer les mau­
vais signes qui assombrissent
l’horizon du couple (la séropositi­
vité et la menace du sida) : dans ces
deux films, Paris reste la capitale
de l’amour, envers et contre tout.
Ducastel et Martineau portent
le « merveilleux » en bandoulière,
comme un hommage à Jacques
Demy dont Olivier Ducastel a été
l’assistant­monteur. Le duo de
réalisateurs a pu arpenter Rouen
(Drôle de Félix, 2000) ou Marseille
(Crustacés et coquillages, 2005)
pour décorseter les comédies
françaises, mais c’est encore la ca­
pitale qui hante leur dernier long­
métrage, un film­protocole pour­
rait­on dire, tant les choix formels
des cinéastes enserrent ce huis
clos tourné avec cinq amis comé­
diens, qu’il faut tous citer :
Manika Auxire, Geoffrey Couët,
qui jouait Théo dans Théo et
Hugo, François Nambot (qui in­
carnait Hugo), Simon Frenay et
Lawrence Valin.
Dans Haut perchés, Paris n’est
plus qu’un totem : la ville est ré­
duite à son plus simple symbole,

soit la tour Eiffel scintillant au
loin, depuis le balcon d’un appar­
tement situé au vingt­huitième
étage d’une tour. Ici, il n’est plus
question de montrer l’amour
mais de raconter ses affres. Dans
le deux­pièces à la vue imprena­
ble, décor unique du film, cinq
trentenaires (une fille et quatre
garçons) se sont donné rendez­
vous un soir : ils ne se connaissent
pas mais ont pour point commun
d’avoir fréquenté le même indi­
vidu et, surtout, d’avoir subi sa
perversité. L’homme en question
est enfermé dans la chambre dont
il n’en sortira jamais. Il n’existe
que par les mots que « posent »
sur lui Veronika, Marius, Louis,
Nathan et Lawrence.

Ce garçon dans la pièce à côté
Chacun lui taille un costard mais
c’est un impossible portrait­robot
qui se dessine : ce « pervers »
nous file entre les mains, il est vi­
siblement un peu caméléon et
adapte son comportement au gré
de ses partenaires. Il ferait un for­
midable cadavre exquis chez les
surréalistes. Tour à tour, chacun
des protagonistes rend visite à ce
garçon dans la pièce à côté tandis
que les autres continuent d’exhu­
mer leurs souvenirs. Ducastel et
Martineau évitent le cliché de la

soirée qui dégénère. « Ça ne va pas
se terminer en partouze et on ne va
pas se foutre sur la gueule », pré­
vient l’un des personnages.
Haut perchés a été imaginé pour
mettre en scène – tout en prenant
du recul – un certain nombre
d’expériences que Ducastel a lui­
même vécues. Les deux réalisa­
teurs tentent d’inventer une
forme, avec les risques qu’un tel
pari comporte : un film de lan­
gage où les protagonistes ont tout
loisir d’exprimer leur ressenti ;
une image colorisée à l’extrême
qui sculpte les visages mais a ten­
dance à lisser le jeu des comé­
diens ; une musique un brin an­
xiogène qui pousse le film vers la
série B. La mise en scène tirée à
quatre épingles installe une cer­
taine routine, ou bien vise­t­elle à
rendre les personnages irréels,
comme réglés par une mécanique
du rêve?
Fausse pièce de théâtre, Haut
perchés travaille le pastiche. Le
film n’est pas sans rappeler l’art
vidéo de Pierrick Sorin à la char­
nière des années 2000 : un uni­
vers ludique, peuplé de minus­
cules silhouettes que le magicien
de l’image animait derrière ses
plaques de verre. Dans le film
bien perché de Ducastel et Marti­
neau, il y a cet instant où les visa­
ges des cinq personnages, fati­
gués et anxieux, se reflètent dans
la baie vitrée du balcon et sem­
blent habiter le ciel tendre et pâle
du petit matin. Même quand ça va
mal, ciel !, que Paris est beau...
clarisse fabre

Film français d’Olivier Ducastel
et Jacques Martineau. Avec
Manika Auxire, Geoffrey Couët,
Simon Frenay, François Nambot,
Lawrence Valin (1 h 30).

Les réalisateurs
portent le
« merveilleux »
en bandoulière,
comme
un hommage
à Jacques Demy

glorieuse (le personnage est mis
plus d’une fois en situation de fai­
blesse ou pris à défaut), c’est tout
autant par narcissisme que par
honnêteté : celle d’un auteur qui
engage sa propre personne, son
propre corps, dans la restitution
harmonieuse de cette matière
souvent banale, chaotique ou
tout bonnement décevante,
qu’on nomme le « vécu ».
ma. mt.

Film iranien de et avec Alireza
Motamedi. Avec Sahar
Dolatshahi, Solmaz Ghani,
Reza Davoudnejad, Setareh
Pesyani (1 h 34).

Sahar Dolatshahi et Alireza Motamedi. NORTE PRODUCTION

domino films présente

une comédie amoureuse de


ERWAN LE DUC


SWANN ARLAUD MAUD WYLER FANNY ARDANT NICOLAS MAURY


© 2019 - PYRAMIDE - LOUISE MA

TA S

ACTUELLEMENTAUCINÉMA


ERWAN LE DUC


LA COMÉDIE LA PLUS RAFRAICHISSANTE DE L’ÉTÉ
Télérama

DRÔLE, SENSIBLE, BARRÉ,
PERDRIX VOLE HAUT
L’Obs HHH

UNE PÉPITE Elle


UNE COMÉDIE ROMANTIQUE


ENDIABLÉE Les Inrockuptibles


UNE MERVEILLE!
L’expressHHHHH

LA COMÉDIE LA PLUS RAFRAICHISSANTE DEL’ÉTÉ
Télérama

DRÔLE, SENSIBLE,BARRÉ,
PERDRIXVOLE HAUT
L’ObsHHH

UNE PÉPITEElle


UNE COMÉDIE ROMANTIQUE


ENDIABLÉE Les Inrockuptibles


UNE MERVEILLE!
L’expressHHHHH
Free download pdf