Télérama Magazine N°3629 Du 3 Août 2019

(Joyce) #1

Laurent Rigoulet


969


L’été


Après Cuba, le membre des Black Panthers Eldridge Cleaver et sa femme Kathleen trouvent refuge à Alger, ville phare de la révolution internationale.

16


Quinze jours


fous à Alger


Dans un continent à peine décolonisé, l’Algérie


indépendante organise le Festival panafricain.


Artistes et militants de la cause noire affluent.


Un vent de libération souffle sur une ville exaltée.


La chaleur est étouffante quand


Eldridge Cleaver (1935-1998), figure


charismatique des Black Panthers,


mouvement de libération des Noirs


américains, écrit ses « notes d’exil » :


« Je suis assis dans un petit appartement


sur la plage, à 200 mètres de la mer, des


gens passent sous ma fenêtre et parlent


dans une langue que je ne comprends


pas, cette langue n’est pas l’espagnol, et


ce pays n’est pas Cuba. » Cleaver a dû


s’éloigner du pays d’adoption de Che


Guevara et trouver une nouvelle terre


d’accueil révolutionnaire en Algérie,


où tout lui est étranger. Il a parcouru le


monde, traversé les frontières en utili-


sant tellement de noms d’emprunt


que le sien a « perdu toute clarté ». A Al-


ger, l’angoisse et la fatigue de la fuite


s’estompent. Il sent revenir la force du


désir dans une ville en plein renou-


veau. Alger, capitale de « l’Algérie indé-


pendante, de l’Algérie socialiste », Alger


en chantier, Alger en surchauffe, Alger,


tête de pont de la révolution interna-


tionale où Malcolm X est venu se res-


sourcer quelques années plus tôt. Les


Black Panthers ont installé un centre


d’accueil rue Didouche-Mourad, une


artère fréquentée du centre-ville. La


jeunesse locale se presse devant les ef-


figies des (super-)héros de la rébellion


noire en tenue paramilitaire à béret.


Elle leur trouve des airs de Martiens.


De l’autre côté de l’artère, le Fatah, le


mouvement de libération de la Pales-


tine fondé par Yasser Arafat, a établi


son QG. Les deux organisations se cô-


toient et palabrent, des groupes se for-


ment, d’autres s’y fondent, un mo-


ment de fraternité dans un fatras de


langues enflammées.


En cet été 1969, une multitude de mi-


litants de la cause noire, venus de tous


les horizons, déferle sur Alger qui orga-


nise son premier Festival panafricain,


et en donne le coup d’envoi alors que


les Américains viennent de poser un


pied sur la Lune. L’événement est d’im-


portance. L’Algérie veut en remontrer à


Télérama 3629 31 / 07 / 19
Free download pdf