appuis là où, en ces temps troublés, réside la
force, c’est-à-dire à la tête des légions. Les géné-
raux, Sylla puis Pompée, se rangent sous la ban-
nière des optimates. Marius puis César, rallient
les «populaires». Dans les faits, ces imperators
ambitieux, censés vaincre par la volonté des dieux,
jouent plutôt leur carte personnelle pour se his-
ser vers le sommet de l’Etat. Car, dans une époque
où les institutions vacillent et le pouvoir s’aff ai-
blit, la tentation de s’en emparer par la force gran-
dit. Tout en s’opposant âprement, les rivaux per-
sistent néanmoins à œuvrer à la grandeur de
Rome. Sylla triomphe du soulèvement des alliés
italiques entre 90 et 88 av. J.-C., Crassus, en 73 av.
J.-C., écrase dans le sang la révolte des esclaves
mené par Spartacus, Pompée, en 67 av. J.-C., chasse
les pirates qui entravent le commerce en Médi-
terranée, puis soumet la Syrie et la Judée, Jules
César se saisit de la Gaule septentrionale entre 58
et 51 av. J.-C., avant de porter le fer, en 49 av. J.-C.,
contre une sécession qui secoue l’Hispanie... Cha-
cune de ces victoires renforce le prestige et l’au-
torité du chef qui la remporte, lui permettant de
s’attacher ses légions grâce à de généreuses dis-
tributions de butin, et le rendant du même coup
plus dangereux encore pour la République. Rome
est prise dans un engrenage.
C
’est en 44 av. J.-C., après l’assassinat de
César par les «républicains» – en réalité,
la fraction du Sénat la plus assujet-
tie au vieil ordre aristocratique –,
qu’Octave, à l’âge de 19 ans, entre dans
la lumière... Et dans la compétition
pour le pouvoir. Son avantage, il le
doit à un hasard du destin : à l’âge
de quatre ans, il perd son père,
Caius Octavius, un homme d’as-
cendance et de renom modestes.
Le jeune garçon passe alors sous
la coupe de sa famille mater-
nelle, l’ancienne et très infl uente
gens (lignée) Iulia. Sa grand-mère
est la propre sœur de Jules César,
lequel ne tarde pas à prendre l’or-
phelin sous son aile, à confi er son édu-
cation à des professeurs réputés et à
multiplier les interventions pour favoriser
sa progression au sein de l’élite romaine. Grâce
à son mentor, Octave intègre en 48 av. J.-C. – il a
alors 15 ans – le très fermé collège des pontifes,
cénacle chargé de s’assurer que les dieux sont en
accord avec l’Etat. César, impressionné selon les
contemporains par son intelligence, ses capaci-
tés de réfl exion, son sang-froid, le fait désormais
apparaître à ses côtés en public. Il l’initie, sur le
terrain, à l’apprentissage de la vie civique et mili-
taire et aux arcanes de la politique. En 45 av. J.-C.,
il adopte son protégé et lui confère de la sorte un
avantage décisif dans les luttes à venir.
D
ès sa prime jeunesse, Octave a su s’en-
tourer d’amis de grande valeur qui lui res-
teront fi dèles, tels Marcus Agrippa, qui
sera son glaive, son indispensable géné-
ral, ou Caius Maecenas (Mécène), qu’on pourrait
désigner comme son futur «ministre de la Culture».
Pour le reste, l’héritier de César, n’est pas exempt
de faiblesses. Sa santé est précaire. Suétone, dans
ses Vies des douze Césars, rapporte qu’il a des
problèmes de peau, que la faiblesse de sa jambe
gauche le fait boiter, qu’il remédie à cette claudi-
cation par un système de sangles, qu’il souff re de
la vessie, de «frilosité», de fi èvre intestinale... A
plusieurs reprises il manque de mourir de ces
maux. Ces fragilités ne l’empêcheront toutefois
pas de vivre jusqu’à 76 ans, âge plus qu’honorable
pour son temps. Son handicap majeur dans la
course au pouvoir est d’ailleurs moins sa faiblesse
physique que sa mauvaise réputation. Comme le
souligne l’historien Jean-Michel Roddaz dans sa
contribution à l’ouvrage collectif Histoire romaine,
des origines à Auguste, paru en 2000, Octave
passe aux yeux de beaucoup pour «un jeune arri-
viste cynique et ambitieux». Les mêmes qui
l’aduleront lui reprochent dans ses débuts
d’être «retors et brutal, pleutre sur le
champ de bataille, cruel à l’égard des
vaincus». Cruel, il l’est certainement.
Après la victoire de Philippes, il fait
mettre à mort les plus illustres des
captifs et envoie la tête tranchée de
Brutus au Sénat, en signe d’accom-
plissement de la vengeance pro-
mise à César. La ville de Ravenne
s’étant soulevée, il la livre au pillage
de ses troupes et fait exécuter
300 notables... Mais, sur le champ de
bataille, il est loin d’avoir hérité des
qualités de stratège de son père adoptif
et délègue volontiers son commandement
dans les situations risquées, le plus souvent au
loyal Agrippa, brillant général.
Mais qu’importe, l’essentiel ne s’obtient pas sur
le champ de bataille mais avant le combat par la
négociation, l’habileté politique, les retourne-
ments d’alliances et la trahison, et à ce jeu Octave
excelle. Il est passé maître dans l’art de la propa-
Découvert en 1951,
ce bouclier en
marbre fut proba-
blement off ert
au consul en 27 av.
J.-C. Le Sénat et
le peuple lui
conféraient ainsi
le titre honorifi que
d’Augustus, que
porteront tous les
empereurs après lui.
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LA FIN DE LA RÉPUBLIQUE
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