Le Monde De La Photo N°116 – Juin 2019

(Chris Devlin) #1
LE MONDE DE LA PHOTO I 31

Même si mes premières images sont
prises de loin, plus le temps passe plus
les plans se rapprochent, et plus ils sont
intimes, car j’ai vite été proche des gens.
Au fil du temps, les photos deviennent
plus fortes, car j’ai une meilleure
connaissance de la culture et des lieux.


Comment décririez-vous les Basques?
Ceux que je connais sont très attachés à
leur culture et à leur langue et ne veulent
pas se laisser absorber par des cultures
dominantes, française ou espagnole.
Pour eux, les écoles basques sont
d’ailleurs très importantes pour cultiver
ce lien. Beaucoup travaillent dans
l’agriculture. Ils sont aussi extrêmement
généreux, loin des stéréotypes que j’ai
pu entendre avant de partir qui voulaient
qu’ils soient méfiants à
l’égard des étrangers.


Ces Basques sont-ils semblables
à ceux que vous avez connus dans
l’Idaho durant votre enfance?
Pas du tout. Les Basques de l’Idaho et
de Californie sont très conservateurs.
Ils sont pour la plupart Républicains et
100 % Américains. Ils ont des valeurs
très différentes même si certains
reviennent parfois au Pays basque pour
apprendre la langue via des stages. Dans


la plupart des familles, la langue s’est
perdue. J’ai par exemple rencontré une
famille américaine qui avait un nom très
basque sans en savoir la signification.
Cela m’a beaucoup étonnée.

Vous êtes aussi l’auteure de Township,
une série réalisée pendant 14 ans dans
plusieurs townships près du Cap, en
Afrique du Sud. Comment avez-vous
commencé ce projet?
J’ai pu aller en Afrique du Sud grâce à la
bourse Guggenheim, une récompense
qui donne l’occasion de photographier
un sujet libre pendant un an. Durant ce
voyage, j’ai passé deux semaines dans
les townships, mais j’ai dû partir, car au
Cap j’ai senti le poids de l’Apartheid et
une séparation entre les Blancs et les
Noirs très marquée. Avant mon départ,
j’ai rencontré une femme, Sindi, qui
travaillait comme domestique et qui m’a
invitée dans son township, Langa, pour
rencontrer sa famille. Lors de ma visite,
j’ai pris quelques photos. En rentrant à
Boston, j’ai développé les pellicules et
pendant quelques mois j’ai essayé de
trouver un projet autour de ces images.
J’ai beaucoup cogité, car ne voulait pas
photographier la pauvreté, la violence
ou la misère c’est-à-dire tout ce que
beaucoup ont déjà voulu montrer. Je me

Photo : Anne Rearick, série Pays Basque


TROIS QUESTIONS À
SYLVIE HUGUES,

CODIRECTRICE ARTISTISTIQUE
DU FESTIVAL DU REGARD

La quatrième édition du Festival du
Regard est axée sur la thématique
« Habiter », pourquoi ce thème?
Le thème « Habiter » est universel,
il touche toutes les catégories de
population et correspond bien au
lieu où se déroule le festival, Cergy-
Pontoise, une ville nouvelle – basée
sur une sorte d’utopie – qui vient
de fêter ses cinquante ans et dont
le Grand Centre est en pleine
réhabilitation. Dès son invention,
la photographie a toujours eu deux
fonctions essentielles : enregistrer
et immortaliser la vie de famille et
faire découvrir d’autres modes de vie
lointains. Avec le thème « Habiter »,
nous avons voulu réunir ces deux
voies, mettre en relation le quotidien
et l’ailleurs, le banal et l’étonnant,
l’anodin et l’extraordinaire.

En quoi ses séries Township
et Pays basque répondent-elles
à la thématique du festival?
J’ai connu le travail d’Anne grâce au
livre Township, édité par la galeriste
Clémentine de la Féronnière, dont j’ai
beaucoup apprécié l’élégance des
photographies, de la maquette ainsi
que la démarche de la photographe.
Township, comme Pays basque, sont
un travail d’immersion au long cours
dans deux types d’habitats différents :
les bidonvilles d’Afrique du Sud et
un petit village rural du sud-ouest
de la France. Dans les deux cas, la
photographe Anne Rearick reste
longtemps sur place, revient d’année
en année, se lie aux habitants, se
« fond » dans le décor, pourrait-on dire
pour montrer comment les gens vivent.

Quel regard portez-vous sur le
travail d’Anne?
Anne Rearick est à la bonne distance,
ses photos sont justes. Elle montre
sans juger et on sent son empathie
pour les sujets photographiés. La
photographe toute la dignité de
ces gens qui parfois habitent des
maisons qui ressemblent plus à des
cabanes (des matchboxes en Afrique
du Sud). C’est une photographie
noir et blanc en format carré qui se
situe dans la lignée des photographes
humanistes, mais avec la modernité
d’un regard d’aujourd’hui.
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