Les Echos - 02.03.2020

(nextflipdebug2) #1

Les Echos Lundi 2 mars 2020 EXECUTIVES// 35


quota. La faible évolution du nombre de
femmes dans les instances dirigeantes,
ces dernières années, montre toutefois
qu’il est temps de prendre des disposi-
tions. La situation n’est pas tenable,
aucune entreprise ne peut se couper de
50 % de la population. Les quotas ont
bien fonctionné dans les conseils d’admi-
nistration ; la loi a contraint à identifier
des femmes avec des expertises et du
potentiel. La question est plus compli-
quée pour les instances dirigeantes, mais
il faut montrer du volontarisme. Une
réflexion doit être menée en amont, pour
permettre aux femmes de prendre des
fonctions business très tôt dans leur
carrière, une exposition appréciée pour
intégrer une instance dirigeante. In fine,
c’est une question d’éducation. Hong
Kong et Singapour sont très en avance
sur la question de la féminisation :
depuis plus d’une génération, le niveau
d’éducation des femmes est très bon et
ces dernières accèdent à des postes de
direction opérationnels très naturelle-
ment.
Avoir fait des études d’ingénieur m’a
exposée à des milieux où il y a plus
d’hommes que de femmes, et m’a permis
d’être à l’aise pour m’exprimer dans des
cercles masculins. Je ne me suis jamais
posé la question de savoir si tel poste
était bien pour moi en tant que femme ;
j’ai toujours fait mes choix profession-
nels sur des défis qui m’attiraient ou des
personnes avec qui je voulais travailler.
Lorsque je partage mon expérience avec
des plus jeunes, je les incite à sortir de
leur zone de confort : c’est ainsi que l’on
apprend le maximum sur soi-même et
que l’on va chercher des réponses à des
sujets nouveaux.
Les femmes doivent avoir confiance en
leurs capacités et s’exprimer sur les
postes dont elles ont envie ; aux entre-
prises d’être plus créatives sur les par-
cours qu’elles leur proposent, et aux
dirigeants d’apprendre pourquoi une
femme peut dire non à un poste. Les
biais culturels et éducationnels exis-
tent ; il est largement temps de mieux
en prendre conscience et de saisir les
opportunités avec ouverture d’esprit,
optimisme et confiance. »

Laurence Barthès
directrice générale adjointe
ressources humaines et systèmes
d’information de Dassault

.../...
partage d’expérience et un dîner : cha-
que participante a été invitée à associer à
cet événement une collègue de moins de
30 ans. Je voudrais que nous, les femmes
de Korian, nous puissions être des pro-
moteurs actifs de la mixité, y compris
par l’exemple que nous donnons.
Mon premier message, c’est faites-vous
confiance et osez être vous-mêmes. Il
m’est inspiré par l’exemple de Christine
Lagarde, avec laquelle j’ai eu la chance
de travailler il y a douze ans [elle a été
directrice adjointe du cabinet de l’ex-mi-
nistre de l’Economie, devenue présidente
de la Banque centrale européenne,
NDLR] : en tant que femme, on peut
exercer les responsabilités les plus
éminentes sans avoir à se couler dans
un moule masculin. Mais il reste encore
du chemin à parcourir dans les têtes...
Les femmes ont souvent encore le senti-
ment qu’elles restent jugées, observées,
y compris sur des détails vestimentai-
res, et qu’elles doivent faire leurs preu-
ves plus que les hommes. Mon second
message, c’est ne jouons pas les femmes
contre les hommes! Il existe suffisam-
ment de clivages en ce monde pour ne
pas en rajouter : exercer le pouvoir peut
se faire d’une façon inclusive. Sans jouer
les unes contre les uns. »


Christel Heydemann,
présidente de Schneider Electric
France
« Fille d’une profes-
seure de mathémati-
ques et d’un père
ingénieur, je n’ai
jamais considéré
qu’être une femme
dans un monde
masculin était une anomalie. Mon
service militaire, alors obligatoire pen-
dant douze mois dans la formation de
l’Ecole polytechnique, a été ma pre-
mière vraie expérience de la diversité de
la société. J’étais la seule femme officier
de mon régiment. Plus ou moins cons-
ciente des biais de genre, mon expé-
rience de DRH d’Alcatel-Lucent a tout
changé. J’ai, à ce moment-là, compris
l’impact des différences de comporte-
ments entre les hommes et les femmes
lors des recrutements. J’ai aussi vu
l’efficacité et l’importance d’une politi-
que de diversité. Il n’est pas simple de
faire progresser les femmes dans une


Laurance N’Kaoua
@LauranceNkaoua

C


e ne sont que 43 pages. Mais le
rapport commandé par le gou-
vernement à Chiara Corazza, la
directrice générale du Women’s Forum,
dans le cadre de la future loi sur l’éman-
cipation économique des femmes, n’en
est que plus dense.
Avec 27 propositions, le texte, remis en
février à Marlène Schiappa et à Bruno
Le Maire, en présence de trois autres
ministres, entend faire de la France une
nation pionnière pour promouvoir les
femmes dans les « sciences, technolo-
gie, ingénierie et mathématiques ».

Les STEM comme clé de l’égalité
Car Chiara Corazza est formelle, ces
STEM sont la clé de l’égalité dans le
monde de demain. D’ici à dix ans, l’auto-
matisation devrait bousculer 800 mil-
lions d’emplois. Et déjà en 2020, parmi
les dix professions les plus recherchées
dans l’Hexagone, huit sont liées aux
STEM, de délégué à la protection des
données à ingénieur en intelligence
artificielle. Sans compter des carrières
en devenir comme celle de « creative
technologists » qui traqueront les
besoins futurs des entreprises ou de
« psychologues designers de robots »
chargés d’anticiper les qualités relation-
nelles nécessaires aux machines.
Or les femmes ne représentent, dans le
monde, que 24 % des professionnels des
STEM. Pis, en France, leur nombre dans
les emplois de la high-tech a chuté de
11 % entre 2013 et 2018.

La pénurie de talents menace : d’ici
à 2025, 200.000 postes seront à pour-
voir en France et 400.000 en Europe.
Sans compter que des secteurs entiers,
où les femmes sont majoritaires, ris-
quent d’être à la traîne en matière de
développement. A l’instar de la santé ou
de l’éducation. « C’est donc aussi une
question de performance économique »,
insiste Chiara Corazza.
Son rapport s’adresse aux femmes de
tous les âges, des écolières, déjà sujettes

aux stéréotypes, aux femmes seniors,
en poste ou en reconversion profession-
nelle. Ainsi, le texte préconise des activi-
tés ludiques dès la primaire pour don-
ner envie de coder mais aussi le
lancement d’une plateforme numérique
d’échanges entre adolescentes et fem-
mes scientifiques influentes, suscepti-
bles de s’ériger en modèles. « Il est fon-
damental d’aider les jeunes filles à se
positionner en voyant leur avenir en
grand », estime Yas Banifatemi, co-head

Avec 27 propositions, le rapport


de Chiara Corazza, directrice


générale du Women’s Forum,


entend faire de la France une


nation pionnière pour promouvoir


les femmes dans les « sciences,


technologie, ingénierie et


mathématiques ».


Te ch : des pistes pour féminiser le secteur


ÉTUDE


monde de l’activité arbitrage internatio-
nal du cabinet d’avocats Shearman &
Sterling.

Lieux de pouvoir
Le texte recommande, par ailleurs,
la parité dans les jurys de grandes
écoles. « La mesure est cruciale : à
l’heure où beaucoup de jeunes filles
y sont reçues à l’écrit et pas à l’oral,
il faut induire des réflexes », assure
Sandrine Delage, informaticienne
de formation, et responsable de la
conduite du changement au sein de
la communication groupe de BNP
Paribas. A ses yeux, « le rapport
Corazza positionne la problématique
au cœur de la société et fait rayonner les
bonnes pratiques venues du terrain ».
Le tout, sans moyens supplémentaires.
« Les ressources sont là, assure Chiara
Corazza. Il s’agit de mieux flécher les
financements. Et d’orienter, par exemple,
la taxe d’apprentissage des entreprises
vers des organismes ayant une plus
grande proportion de filles dans leurs
filières STEM. » Avec, au passage, des
effets culturels induits.
Le rapport cible enfin les lieux de pou-
voir, visant 30 % de femmes issues de
carrières scientifiques tant dans les
conseils d’administration que dans les
comités exécutifs. « La France a vocation
à donner un message à l’Europe et à
devenir un modèle avec cette loi phare »,
affirme l’avocate Yas Banifatemi. Déjà,
l’Italie s’inspirerait de la démarche de
Chiara Corazza et de l’équipe du
Women’s Forum pour réfléchir à une loi
similaire.n

Les femmes ne représentent, dans le monde, que 24 % des professionnels des STEM.
Photo iStock

entreprise lorsque les métiers techni-
ques sont dominants. Elles ne sont pas
toujours leurs meilleurs alliés, elles
manquent encore de modèles, c’est
pourquoi chaque nomination compte.
Le premier frein à la promotion des
femmes est la détection des talents.
Chez Schneider Electric France, nous
nous sommes imposés de recruter 40 %
de femmes. Pour cela, nous devons
communiquer très en amont auprès des
jeunes filles sur nos différents métiers
souvent mal connus. Nous avons aussi
décidé d’avoir 30 % de femmes aux
postes de direction du groupe d’ici à
2025, ce qui n’est pas évident. Je suis
favorable à la discrimination positive, il
n’y a que cette solution pour faire bou-
ger les choses. Je suis convaincue que
nous ne pouvons pas faire progresser ce
que nous ne mesurons pas. Cependant,
imposer des quotas dans les comités
exécutifs et de direction me paraît
compliqué. Il ne faudrait pas habiller les
comex et les codir juste pour répondre à
ces quotas. Je crois plus à une publica-
tion obligatoire des ratios dans les
comités de direction et des objectifs
affichés dans les entreprises. Le “name
& shame” permet une plus grande
concurrence entre les organisations.
Pour faire évoluer les femmes, les entre-
prises doivent se saisir de la question de
l’équilibre des vies privée et profession-
nelle, qui est encore un frein pour nombre
d’entre elles. Quand je suis partie en congé
maternité, il y a deux ans, j’avais publié
une note d’organisation détaillée. Mes
collègues du comité exécutif ont pris le
relais lorsque c’était nécessaire. En
interne, j’ai eu beaucoup de retours
d’hommes et de femmes qui se sont alors
aperçus que, quel que soit le poste, cet
équilibre était important et gérable. A
l’extérieur, j’avais simplement communi-
qué sur l’organisation durant mon
absence et tous les clients l’ont très bien
compris. »

Gaëlle Olivier
directrice de Société Générale
pour la région
Asie-Pacifique
« Les quotas de
femmes constituent
une question sensi-
ble ; personne n’a
envie d’être nommé
pour répondre à un

Systèmes
« Chez Dassault
Systèmes, sur les
onze membres du
comité exécutif
opérationnel, cinq
sont des femmes et
occupent des postes
clés. Moi-même, directrice générale
adjointe ressources humaines et systè-
mes d’information, j’assure une fonc-
tion atypique. Dans le groupe, un colla-
borateur sur quatre est une femme, sur
des profils majoritairement d’ingé-
nieurs, et plus d’un tiers des embauches
sont féminines. Nous ne nous sommes
pas fixé de quotas de femmes mais la
culture et les valeurs de l’entreprise en
matière de féminisation sont fortes ; il y a
une volonté de donner des responsabili-
tés aux femmes. Ce n’est pas le cas par-
tout : dans certaines entreprises, fixer un
quota peut forcer chacun à réfléchir à ce
qu’il peut mettre en place. Au début de
ma carrière, lorsque j’ai dû faire mes
preuves pour la première fois en tant
que manager, j’ai croisé des collabora-
teurs qui avaient du mal à accepter
d’être dirigés par une femme mais je ne
pense pas que nos collaboratrices vivent
une telle situation aujourd’hui.
Prendre des responsabilités dans
l’entreprise nécessite un investissement
personnel et les difficultés relèvent plus
de l’équilibre à trouver pour pouvoir
s’investir sans renoncer à sa vie person-
nelle. Mais il n’y a pas de choix à faire!
Je dois beaucoup communiquer sur le
sujet en interne, et également auprès
des collégiennes que je peux être ame-
née à rencontrer lors de manifestations.
C’est leur première question!
A 34 ans, alors que je venais d’accepter
un poste à fortes responsabilités dont
j’avais très envie, j’ai appris que j’atten-
dais un enfant. Ma première réaction,
au lieu de me réjouir, a été de me tour-
menter sur la façon dont j’allais pouvoir
l’annoncer. Je me souviens être allée
voir Bernard Charlès, qui, à l’époque,
était à la direction générale techni-
que [aujourd’hui directeur général de
Dassault Systèmes, NDLR], en étant très
inquiète mais il m’a félicitée chaleureu-
sement et m’a rassurée sur la suite. Et
j’ai pu m’épanouir dans ce poste. La
place des femmes dans l’entreprise
dépend de la culture de l’entreprise et de
la volonté des dirigeants. »

Mari-Noëlle Jégo-Laveissière
directrice de l’innovation,
du marketing et de la technologie
d’Orange
« La responsabilité
de l’accession des
talents féminins aux
postes de direction
est partagée à 50-50
par les entreprises,
d’un côté, et les
femmes, de l’autre.
Il est très important que les organisa-
tions continuent leurs efforts et renfor-
cent le cadre positif qu’elles ont, pour
certaines, mis en place afin de gommer
les quelques réticences et barrières
psychologiques qui peuvent encore
exister. Cela est nécessaire, mais pas
suffisant.
Il est impératif que les femmes soient
aussi actrices de leur réussite et cassent
le plafond de verre aujourd’hui fissuré.
Pour cela, elles doivent s’y prendre tôt,
cultiver leur envie, accepter de prendre
des risques et faire confiance à ceux qui
leur proposent des postes en se disant,
toujours, qu’elles pourront y arriver.
Leurs compétences sont indiscutables,
leur capacité de management agile
indiscutée et il n’est plus question pour
elles de devoir renoncer à leur vie per-
sonnelle pour mener à bien leur vie
professionnelle.
Au sein des comités exécutifs, où la
proportion de femmes est encore trop
faible, il faut que chacun prenne cons-
cience que la diversité est un atout,
qu’une entreprise diverse avance
mieux que les autres. L’ancienne com-
missaire européenne, Viviane Reding,
disait : “Je n’aime pas les quotas, mais
j’aime ce qu’ils provoquent.” Il est vrai
que, à l’échelle française, une telle
politique a prouvé son efficacité au
sein des conseils d’administration.
Faut-il désormais l’appliquer aux comi-
tés exécutifs?
Dans un premier temps, une parole
forte, venue du monde politique ou de
l’Afep-Medef, pour affirmer la nécessité
d’une parité, ou d’un 60-40 au sein des
comex, pourrait produire des effets. Si
cela se révélait insuffisant, il faudrait
peut-être alors entrer dans une seconde
phase, avec des mesures plus coercitives
tout en ayant à l’esprit qu’un temps long
est nécessaire aux entreprises pour
s’adapter. »n

Femmes et tech
se rapprochent

echo.st/m333094
Free download pdf