Le Monde - 07.03.2020

(Grace) #1
0123
SAMEDI 7 MARS 2020

ÉCONOMIE  &  ENTREPRISE


| 17


Malgré la grève, la RATP bénéficiaire en 


Alors que le mouvement social lui a coûté 200 millions d’euros, la régie craint l’épidémie de Covid­


O


n a failli faire une ex­
cellente année. » Ca­
therine Guillouard, la
PDG de RATP Group, a
de quoi nourrir quelques regrets
en publiant ses comptes 2019,
vendredi 6 mars. Certes, la
grande grève de décembre contre
le projet de réforme des retraites
n’a pas empêché le chiffre d’affai­
res de croître de 2,5 %, pour at­
teindre 5,7 milliards d’euros l’an
dernier, mais elle est venue am­
puter lourdement toutes les li­
gnes du résultat : une baisse de
2 % de la fréquentation, un béné­
fice opérationnel réduit d’un
tiers, une capacité d’autofinance­
ment qui stagne et, surtout, un
résultat net à 131 millions d’euros,
alors qu’il avait atteint 200 mil­
lions en 2018. « Le conflit social n’a
pas obéré notre croissance, mais il
a lourdement pesé sur les comp­
tes », résume la patronne de la ré­
gie parisienne.
La RATP estime que la grève a di­
minué de 150 millions d’euros
son bénéfice 2019, à cause de
deux foyers de pertes principa­
les : la baisse de recettes voya­
geurs (– 59 millions d’euros) et
une provision passée pour antici­
per les remboursements aux
abonnés pour le mois de décem­
bre (– 103 millions). Cette somme
a été reversée à Ile­de­France Mo­
bilités, l’autorité organisatrice
des transports de la région, qui
s’est chargée de la rendre aux titu­
laires d’un passe Navigo.
Ces sommes ne tiennent pas
compte du débordement du
mouvement sur le mois de jan­
vier, lequel devrait avoir un effet
négatif supplémentaire que la
RATP estime entre 40 millions et
50 millions d’euros. Au total, l’un
des conflits sociaux majeurs de
l’histoire de la régie parisienne
aura coûté autour de 200 millions
d’euros à l’entreprise publique.

« Tentés par le droit de retrait »
Malgré tout, même diminués, les
profits sont là. La RATP a réussi à
faire le gros dos et comptait bien
sur 2020 pour rebondir. Mais,
comble de malchance, un nouvel
obstacle potentiel se dresse : le co­
ronavirus. La nouvelle est tom­
bée, jeudi 5 mars : deux employés
de la RATP amenés à être en con­
tact avec le public ont été infectés,
une agente travaillant en station
sur la ligne 6 du métro parisien et
un chauffeur du centre de bus de
Thiais (Val­de­Marne).
Conséquence potentielle : de
nombreux usagers pourraient se
détourner des réseaux, des sala­
riés pourraient être tentés par
l’utilisation du droit de retrait.

Pour l’heure, la direction tempo­
rise. La découverte de ces cas n’a,
pour l’instant, « aucune incidence
pour l’exploitation sur tout le ré­
seau, y compris sur la ligne 6 »,
souligne la régie. « On n’a pas ob­
servé un changement de la fré­
quentation, et nous n’avons pas de
droit de retrait », a affirmé, jeudi
5 mars, Catherine Guillouard, qui
reconnaissait toutefois qu’une
extension de l’épidémie pourrait
conduire à une réduction de l’of­
fre de transport. « Il faudrait faire
avec les personnels présents, ex­
plique la patronne de la régie.
Comme pendant la grève, notre
priorité serait de privilégier les
axes prioritaires et les heures de
pointe. »
Pour la RATP, le potentiel de
croissance est pourtant là. Il
s’était manifesté dans les chiffres
2019 jusqu’à novembre. Sans
grève, le chiffre d’affaires aurait
augmenté de 4 %, l’excédent brut
d’exploitation, de 7 %, le profit, de
40 %... Jusqu’au 5 décembre, date

du déclenchement du conflit, la
croissance globale de la fréquen­
tation des réseaux ressortait à
2,6 %, avec des pointes dans le
tramway et le RER.

Frénésie de travaux
« Tout cela montre notre avance
accumulée jusqu’à novembre, sou­
ligne Mme Guillouard. Elle nous a
permis de bien résister aux pertur­
bations en réalisant un bénéfice
substantiel, alors même que nous
avons, en 2019, investi plus de

2 milliards d’euros dans les réseaux
d’Ile­de­France, une somme ja­
mais atteinte dans l’histoire du
groupe. » Le résultat, ce sont des
chantiers tous azimuts : prolon­
gement de quatre lignes de métro
(4, 11, 12 et 14), modernisation de li­
gnes, rénovations de rames, con­
version de l’activité bus à l’électri­
que et au biogaz...
Pour financer cette frénésie de
travaux, la RATP a apporté 1 mil­
liard sur ses fonds propres (sans
augmenter sa dette), auxquels se
sont ajoutés 700 millions d’euros
de la part d’Ile­de­France Mobili­
tés et 400 millions apportés par la
Société du Grand Paris pour le
prolongement vers le sud de la li­
gne 14, dans les souterrains de la­
quelle trois tunneliers sont ac­
tuellement en action.
Les nouvelles rassurantes sont
aussi venues des filiales. Alors
que l’activité de l’établissement
public RATP (RER, métro, tram,
bus dans la région capitale) a sta­
gné, en 2019, à cause des grèves,

les filiales ont apporté une contri­
bution importante à la croissance
(+ 11 % en termes de chiffre d’affai­
res). Ces dernières représentent
désormais presque un quart des
revenus du groupe.
Au premier rang d’entre elles,
on trouve RATP Dev, qui gère tou­
tes les activités de transport pu­
blic en région et à l’étranger. La so­
ciété a multiplié les conquêtes
dans l’Hexagone, en 2019 : gains
des réseaux d’Angers, Brest (Finis­
tère), Saint­Malo (Ille­et­Vilaine),
Creil (Oise) et du CDG Express en
partenariat avec Keolis (filiale de
la SNCF).
A l’étranger, le groupe n’a pas
décroché de nouveau réseau mar­
quant, mais a mis à exécution les
récents contrats remportés, no­
tamment celui des métros et
tramways du Qatar, des métros et
bus en Arabie saoudite, des tram­
ways au Maroc et en Algérie, ainsi
que la gestion des transports de la
région toscane, en Italie.
éric béziat

Un glissement de terrain fait dérailler un TGV en Alsace


L’accident a fait 22 blessés, dont le conducteur, grièvement touché. Une série importante d’effondrements affecte les voies du réseau


U


n blessé grave, quel­
ques contusions et une
énorme frayeur pour
348 passagers... Le déraillement
d’un TGV Colmar­Paris, en Alsace,
jeudi 5 mars, aura été spectaculaire
et traumatique, mais sans consé­
quence humaine tragique. A 7 h 45,
le train qui venait de quitter Stras­
bourg est sorti de sa voie à 270 ki­
lomètres heure (selon la SNCF), à
hauteur d’Ingenheim (Bas­Rhin), à
30 kilomètres au nord­ouest de la
capitale alsacienne.
La motrice a vraisemblable­
ment heurté violemment un
morceau de remblai qui venait de
s’effondrer sur la voie. L’engin
moteur et les quatre premières
voitures ont quitté les rails, sans
se coucher sur le côté. Le conduc­
teur, le thorax enfoncé, a été

transporté à l’hôpital en urgence
absolue, mais ses jours ne sont
pas en danger.
Les autres blessures sont plus
bénignes. Un contrôleur souffre
du dos et un passager a été légère­
ment blessé au visage. La préfec­
ture a dénombré 22 personnes
touchées (dont le conducteur),
essentiellement des voyageurs
choqués par l’accident.
Trois enquêtes ont été immé­
diatement ouvertes, comme c’est
l’usage dans de telles circonstan­
ces, l’une par les services d’audit
interne de la SNCF, l’autre par le
Bureau d’enquête sur les acci­
dents des transports terrestres
(BEA­TT), qui dépend du minis­
tère des transports, la troisième
par le procureur de la République
de Strasbourg.

Ce sont les experts mandatés qui
détermineront les causes précises
du déraillement d’Ingenheim,
« mais on voit bien qu’on a eu un
glissement de terrain complète­
ment imprévu », a indiqué le prési­
dent de la SNCF, Jean­Pierre Faran­
dou, qui s’est rendu sur place. Les
images impressionnantes d’un
pan de remblai de belle hauteur –
22 mètres, selon la SNCF – qui a
glissé sur la voie ferrée, comme le
ferait une plaque neigeuse, sem­
blent attester cette explication.
L’affaire d’Ingenheim n’est pas le
premier effondrement de talus
spectaculaire constaté ces der­
niers temps. Et c’est même une sé­
rie noire d’écroulements mar­
quants qui s’est produite en quel­
ques mois : un morceau de ballast
et de terrain situé sous la voie a été

emporté à Villeneuve­lès­Béziers
(Hérault), fin octobre 2019 ; un af­
faissement de terrain à Créhange
(Moselle), près de Forbach, bloque
la circulation des TER depuis la mi­
février ; un énorme morceau de
pente a glissé sur la voie et bloqué
un train de banlieue, le 4 février, à
la gare de Sèvres ­ Ville­d’Avray
(Hauts­de­Seine), entraînant l’éva­
cuation d’une soixantaine de
voyageurs. Cette portion de ligne
est désormais fermée au moins
jusqu’en avril.

« Fortes pluies »
Des voix syndicales, dont celles
de la CGT, premier syndicat che­
minot, ont commencé à s’élever
pour s’inquiéter de cette situa­
tion, notant un possible lien avec
les abondantes précipitations en­

registrées récemment. « Dans
cette période de fortes pluies dues
à une multiplication des alertes
météo, il y a lieu de vérifier les talus
et bords de voies », écrivent les
cheminots de SUD Rail (troisième
syndicat de la SNCF) dans un tract
sur l’accident d’Ingenheim, souli­
gnant le risque de ne pas avoir des
effectifs suffisants pour inspecter
les 100 000 talus, appelés « ouvra­
ges en terre » par la SNCF, qui bor­
dent les 28 000 kilomètres de
voies ferrées françaises.
« Il n’y a pas de recrudescence du
nombre d’incidents sur nos ouvra­
ges en terre, répond­on à SNCF Ré­
seau. Ils sont attentivement sur­
veillés. Des équipes inspectent les
voies et leurs abords toutes les huit
semaines. Un TGV spécial, bardé
de capteurs, parcourt les lignes

plusieurs fois par an. Il était passé
à Ingenheim deux jours avant l’ac­
cident. Sur nos 100 000 ouvrages
en terre, 9 000, dont celui d’Ingen­
heim, font l’objet d’une attention
particulière, avec des surveillances
par hélicoptère tous les trimestres
pour repérer les déformations. La
dernière inspection avait eu lieu en
décembre [2019]. »
A la SNCF, on insiste sur le côté
rarissime, inopiné et fulgurant de
l’événement. « Cinq TGV étaient
passés au petit matin avant le train
qui a déraillé, souligne un porte­
parole de la SNCF, dont le dernier à
6 h 55. » Un cadre ajoute : « C’est la
première défaillance dramatique
du réseau à grande vitesse français
en trente­neuf ans. » Autrement
dit, depuis qu’il existe.
é. bé.

Une station fermée de la ligne 12 du métro parisien, lors du mouvement contre la réforme des retraites, le 6 décembre 2019. PHILIPPE LOPEZ/AFP

Sans le conflit
social, le chiffre
d’affaires aurait
crû de 4 %,
l’excédent brut
d’exploitation,
de 7 %, le profit,
de 40 %

LES  CHIFFRES


200 MILLIONS
C’est, en euros, le coût total
de la grève menée contre la
réforme des retraites, en
décembre 2019 et janvier 2020,
pour la Régie autonome des
transports parisiens (RATP).

131 MILLIONS
C’est, en euros, le résultat net
de RATP Group, pour un chiffre
d’affaires de 5,7 milliards d’euros
en 2019, en baisse de près
de 35 % par rapport à 2018.

2,1 MILLIARDS
C’est, en euros, le montant in-
vesti en 2019 par la RATP dans
la modernisation de ses réseaux
d’Ile-de-France, dont 1 milliard
sur ses fonds propres.
Free download pdf