Les Echos - 10.03.2020

(Rick Simeone) #1

Gabriel Nedelec
et Sophie Rolland


Déjà mises à rude épreuve par la
propagation du coronavirus, lundi
les places financières mondiales
ont cédé à la panique. A la crise s ani-
taire s’ajoute désormais le krach
pétrolier. Le baril de brent a perdu
plus de 20 % (45 % depuis le début
de l’année) et est tombé sous 36 dol-
lars lundi, après l’échec des négo-
ciations entre l’Opep et la Russie.
Les écrans Bloomberg scrutés par
les opérateurs boursiers sont restés
désespérément rouges lundi. Les
indices européens, ont p longé de 7 à
8 %, faisant basculer le marché en
territoire « baissier ».
Avec des baisses de plus de 20 %
depuis les pics de fin février, le
« bear market » (marché de l’ours)
est de retour. Dans le jargon des
opérateurs b oursiers, l ’ours symbo-
lise le pessimisme des marchés.
Contrairement au taureau
(emblème du marché haussier) qui
charge et, sûr de lui, pousse les mar-
chés à la hausse, l’ours, lui, donne
des coups de patte dans un mouve-
ment du haut vers le bas. Il y a seule-
ment trois semaines, une telle
déroute aurait été inimaginable.
L’indice européen Euro STOXX 50 a
plongé de 8,45 %, le DAX, à Franc-
fort, de 7,94 % et le FTSE 100, à Lon-
dres, de 7,69 %. La Bourse italienne,
qui a perdu 17 % depuis le début de
la crise sanitaire, a ouvert en chute
libre avec une heure de retard. Le
MIB milanais a finalement terminé
la séance à – 11,17 %.


A Paris, un plus bas
depuis janvier 2019

A Paris, la Bourse a ouvert avec
quelques minutes de retard lundi
matin, le temps que l’opérateur
boursier ajuste le prix d’ouverture
de certains titres massivement
réservés à la baisse. Entre son pic de
6.111 points du 19 février et la clôture
de lundi, à 4.707,91 p oints, l e CAC 40
a perdu près de 23 %. En une séance,


l’indice parisien a plongé de 8,39 %.
Une chute exceptionnelle. Les der-
nières de cette ampleur remontent
à 2008 : le 10 octobre, la Bourse de
Paris avait perdu 7,73 % et, quatre
jours plus tôt, elle avait lâché 9,04 %
en une seule séance.
L’indice phare de Paris est
désormais à son plus bas niveau
depuis janvier 2019 et à 4.600
points il aura e ffacé la totalité d es
gains de l’année dernière. L a Ban-
que de France a annoncé qu’elle
ne tablait plus que sur une pro-
gression du PIB de 0,1 % au pre-
mier trimestre. Le secteur ban-

caire, tout comme les groupes
pétroliers français, sont dure-
ment touchés.

Des coupe-circuits activés
à Wall Street
Les opérateurs boursiers sont obli-
gés d’activer les coupe-circuits
pour éviter la débâcle. A l’ouver-
ture de Wall Street, les échanges
ont dû être suspendus 15 minutes,
après l’effondrement de 7 % de
l’indice élargi S &P 500. Au
moment de l’interruption, le Dow
Jones Industrial Average s’était
déjà écroulé de 7,29 % et le Nasdaq,

à forte coloration technologique,
avait dégringolé de 6,86 %. Dans
cet environnement hautement
incertain, les gourous du marché
déconseillent aux investisseurs de
tenter d’attraper « les couteaux qui
tombent ». Dans une vidéo publiée
par l’agence Bloomberg, le très res-
pecté Mohamed El-Erian, con-
seiller économique chez Allianz, a
lancé une recommandation rare :
« Do not buy in this dip » (n’achetez
pas pendant ce creux). Autrement
dit, ce n’est pas le moment d’être
tenté par des achats à bon compte.
L’incertitude qui entoure cette

crise rend l’opération hasardeuse,
selon l’économiste.
La volatilité, déjà significative-
ment plus élevée depuis quinze
jours, est encore montée d’un cran.
Le VIX, l’indice de volatilité du S&P
500, parfois appelé « l’indice de la
peur », a franchi les 60 points en
séance lundi après avoir dépassé 50
vendredi. « Le climat de marché est
plus violent que celui d’août dernier
ou du dernier trimestre 2018, mais ce
n’est pas encore 2008 » , relativise
Dominique Ceolin chez ABC Arbi-
trage. Pour lui, il faut distinguer les
chocs ponctuels de volatilité des

régimes stabilisés, comme en 200 8.
Le VIX avait alors connu des pics à
80 et s’était stabilisé autour de
40-50.
Le problème d’une telle déroute
boursière? Elle peut « conduire à
une crise économique grave » ,
s’alarme Stéphane Déo, responsa-
ble de la stratégie de marchés chez
LBPAM. Via deux maillons faibles :
le marché monétaire et le marché
crédit « high yield » aux Etats-Unis.

(


Lire l’éditorial
d’Elsa Conesa
Page 14 et « Crible » page 32

lLundi, les marchés mondiaux ont été emportés par un vent de panique et, à la crise sanitaire, s’est ajouté


le krach pétrolier.


lLa Bourse de Paris s’est écroulée de 8,39 %, à 4.707,91 points en clôture, sa pire séance depuis 2008.


Le coronavirus provoque un krach


boursier mondial


BOURSE


jours (comme Carlsberg o u
Schneider Electric). Mais la
grande majorité n’a pas souhaité
tenter sa chance sur des marchés
aussi difficiles. Face à l ’épidémie de
coronavirus, les investisseurs sont
en effet devenus extrêmement fri-
leux. Signe de cette crainte, le coût
des CDS – des produits dérivés qui
agissent comme des assurances
contre le défaut d’un emprunteur –
a bondi. L’ indice iTraxx Crossover,
qui porte sur la dette « high yield »
(obligations mal notées, c’est-à-dire
en dessous de BBB –), a grimpé de
plus de 130 points de base lundi
pour franchir temporairement les
500 points de base. Même s’il est un
peu redescendu, il évolue toujours à
ses plus hauts niveaux depuis
février 2016.

Mur de la dette
Ces entreprises en catégorie spécu-
lative, donc très endettées, seraient
les premières touchées par un
ralentissement économique qui
réduirait leurs capacités de rem-
boursement. Mais le risque le plus
immédiat est pour celles qui vont
devoir refinancer dans un horizon
proche leur dette existante ou des
acquisitions. CMA CGM doit par

exemple refinancer 725 millions
d’euros d’obligations e n janvier pro-
chain, soit en levant à nouveau de la
dette, soit en augmentant son capi-
tal. Mais ni le marché actions ni le
marché obligataire ne le leur per-
mettent aujourd’hui.
Pour l’instant, de tels cas sont
rares. Altice, dont la stratégie
d’endettement a été régulièrement
montrée du doigt, a pris les devants.
Depuis le début de l’année, la mai-
son mère de SFR a profité des bon-
nes conditions de marché pour refi-
nancer près de 5 milliards d’euros
de dette – sur un total de 30 mil-
liards hérité de la constitution de
l’empire télécoms de Patrick Drahi
en 2014. Altice a ainsi pu réduire
considérablement le coût de son
endettement. Selon une note de
JP Morgan, le groupe a ainsi sabré le
montant de ses intérêts annuels
d’environ 120 millions d’euros – ce
qui n’est pas négligeable sur des
frais financiers estimés à 1,9 mil-
liard d’e uros en 2019. Surtout, le
groupe en a profité pour décaler la
première grosse échéance de rem-
boursement à 2025. « Ils n’ont pas
vraiment besoin de recourir aux
marchés avant longtemps » , con-
firme Ernesto Bisagno, analyste cré-

ticulièrement exposé. Chez Rallye
aussi, on doit souffler : au début du
mois, le tribunal de commerce de
Paris a accepté le plan de refinance-
ment élaboré par Jean-Charles
Naouri et les administrateurs judi-
ciaires. Le holding de Casino et ses
sociétés faîtières ne paieront
l’essentiel de leurs dettes qu’en 2023
et après. Selon une source proche
du groupe, le holding ne doit payer
que 100.000 euros à ses créanciers
lors des trois prochaines années.

Augmentations de capital
difficiles
Autre société dans la ligne de mire
des marchés : Vallourec qui compte
rembourser une partie de ses plus
de 2 milliards d’euros de dette par
une augmentation de capital. Fin
février, le spécialiste des tubes pour
l’industrie pétrolière et gazière
s’était résolu à faire à nouveau appel
à ses actionnaires à hauteur de
800 millions d’euros afin de se don-
ner de l’air. Mais la valeur a cédé
environ 20 % à Paris lundi, pénali-
sée par la baisse générale des
actions et la chute des prix du
pétrole, ce qui pourrait compliquer
son projet. La capitalisation bour-
sière du parapétrolier dont l’Etat

français détient 15 % via bpifrance
se limite désormais à près de
500 millions d’euros... « Au cours de
Bourse actuel cette augmentation de
capital correspond à une multiplica-
tion par plus de trois du nombre
d’actions en circulation! Les action-
naires pourraient être tentés de
réduire son montant autorisé » ,
estime Fabrice Farigoule chez
Alpha Value. Chez Vallourec
comme c hez bpifrance on se veut au
contraire rassurant. Le groupe
n’envisage aucune remise en cause
de l’opération. Le projet sera soumis
à l’aval de son AG le 6 avril prochain.
Difficile de prévoir jusqu’à quand
les marchés resteront fermés pour
les refinancements. « De nombreux
facteurs entrent en jeu , souligne
Christine Kam, d’Octo Finances.
Notamment, la durée de la crise du
coronavirus, et son ampleur. Pour
l’instant, l’Italie est le seul pays
d’Europe à avoir mis des régions
entières en quarantaine. Si l’Allema-
gne et la France devaient faire de
même, l’impact sur les perspectives
de croissance en Europe serait beau-
coup plus fort. » Les investisseurs
attendront d’y voir un peu plus clair
avant d’accepter de reprendre des
risques.n

Les entreprises très endettées au cœur des préoccupations


Guillaume Benoit
_@gbeco
Philippe Bertrand
Sébastien Dumoulin

et Sharon Wajsbrot


Air France-KLM a eu une bonne
intuition. Le groupe aérien a bou-
clé, le 10 janvier dernier, une émis-
sion obligataire pour un montant
de 750 millions d’euros, dont
350 millions ont été consacrés au
rachat d’obligations arrivant à
échéance en 2021 et 2022. Trois
semaines plus tard, il annonçait la
suspension de ses vols vers la Chine,
alors seul pays frappé par le coro-
navirus, première étape d’un
mouvement de ralentissement des
déplacements mondiaux.
Surtout, fin février, le marché
obligataire s’est fermé. Seules quel-
ques rares sociétés bien notées ont
pu émettre au cours des derniers


Le marché obligataire
reste fermé pour les
entreprises les plus fragiles.
Celles qui n’ont pas procédé
au refinancement
de leurs échéances
pourraient se retrouver
en situation périlleuse.


dit chez Moody’s, qui n’a toutefois
pas changé la note d’Altice (B2 avec
perspectives négatives) depuis
décembre 2018, en raison des incer-
titudes sur la capacité du groupe à
générer du cash. Les restrictions
des conditions de crédit liées au
coronavirus ne devraient donc pas
l’atteindre. D’autant plus que les
télécoms ne sont pas un secteur par-

« L’ Italie est le seul
pays d’Europe
à avoir mis des
régions entières
en quarantaine.
Si l’Allemagne et
la France devaient
faire de même,
l’impact sur
les perspectives
de croissance
en Europe serait
beaucoup plus
fort. »
CHRISTINE KAM
Analyste chez Octo Finances

FINANCE & MARCHES


Mardi 10 mars 2020 Les Echos

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