28 // FINANCE & MARCHES Mardi 10 mars 2020 Les Echos
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MATIÈRES
PREMIÈRES
Vincent Collen
@VincentCollen
C’est un krach pétrolier sans précé-
dent depuis la première guerre du
Golfe, en 1991. Le baril de brent chu-
tait de plus de 22 % lundi en début de
soirée, retombant sous les 37 dol-
lars, un niveau qu’on n’avait pas vu
depuis février 2016. La planète
pétrole a vécu une rupture spectacu-
laire ce week-end après l’échec sur-
prise des négociations entre l’Opep
et son allié russe vendredi.
La Russie a refusé de réduire sa
production, comme le proposait le
cartel, pour soutenir les prix du brut,
affectés par l’épidémie de coronavi-
rus qui pénalise la demande mon-
diale. L’Arabie saoudite a immédia-
tement riposté en faisant savoir
qu’elle augmentait sa production,
volontairement bridée depuis près
de quatre ans et qu’elle baissait ses
prix de 7 à 8 dollars par baril pour
défendre ses positions. La compa-
gnie nationale Saudi Aramco pour-
rait faire passer sa production de
9,7 millions de barils par jour en
mars à 10,5, voire à 11 millions en
avril, estiment les analystes d’UBS.
Elle dispose de capacités suffisantes
pour monter à 12 millions.
En inondant le marché alors que
la consommation de pétrole recule,
Riyad déclenche « une crise sans pré-
cédent » , relèvent les analystes de
Citi. Elle rappelle à la fois les pério-
des suivant les attentats du 11 sep-
tembre et la crise financière de
2008-2009, où la demande a chuté,
et les périodes ou l’offre était excé-
dentaire, en 2016 ou au début des
années 1980. Résultat, le marché est
profondément déséquilibré. Les
stocks mondiaux dépasseraient les
5 millions de barils par jour au pre-
mier trimestre, selon Société Géné-
rale, soit 5 % de l’offre mondiale. La
consommation de pétrole devrait
reculer cette année (–0,1 %) pour la
première fois depuis 2009, a estimé
lLe brent chutait de plus de 20 % lundi, retombant à son niveau de 2016.
lL’Arabie casse les prix après le refus de la Russie de réduire sa production.
Pétrole : la guerre des prix
est déclarée
Benjamin Quénelle
— Correspondant à Moscou
Face aux partisans du maintien
d’un accord avec l’Opep, les com-
pagnies pétrolières russes ont
obtenu ce qu’elles cherchaient
depuis longtemps : le retour au
chacun pour soi. La fin de
l’alliance tarifaire avec l’Organi-
sation des pays exportateurs de
pétrole dirigée par Riyad signifie
l’abandon du soutien des prix et,
pour ces derniers, la reprise d ’une
stratégie d e prise d e parts de mar-
ché. Ainsi la bonne entente entre
la Russie (non-membre de
l’Opep) et l’Arabie saoudite, tous
deux assurant plus de 40 % de la
production mondiale de pétrole
aura-t-elle volé en éclats en
l’espace de quelques jours.
Loin de ses récentes et chaleu-
reuses poignées de mains avec le
prince héritier Mohammed ben
Salmane, de leur charte « Opep + »
et de leur i nédite coopération s cel-
lée à Riyad en octobre dernier,
Vladimir Poutine a cette fois pris
le parti d’Igor Setchine, le puis-
sant patron de Rosneft, géant
public de l’or noir russe.
Le 1 er mars, soit cinq jours avant
la rupture de l’accord avec l’Opep,
Vladimir Poutine avait réuni
autour d’Igor Setchine ministres
et autres patrons de compagnies
pétrolières. Officiellement pour
écouter leur opinion « sur la façon
dont n ous devons identifier d e nou-
velles étapes pour équilibrer le
marché mondial des hydrocarbu-
res ». Dans les faits, pour signer la
mort de l’accord Opep+.
« Menace stratégique »
Cet accord n’avait jamais été
populaire auprès des compa-
gnies pétrolières russes, con-
traintes de réduire leur produc-
tion et leurs exportations et de
limiter les investissements dans
de nouveaux projets. En
février 2019, Igor Setchine avait
déjà écrit à Vladimir Poutine, son
ami et ex-collègue du KGB
devenu président, affirmant que
mir Poutine a donc décidé de met-
tre fin à Opep+. Il aurait même
refusé des appels téléphoniques de
Mohammed ben Salmane. Les
arguments d’Igor Setchine auront
donc été les plus forts : avec un prix
du baril en chute libre, les investis-
sements américains d ans le pétrole
de schiste ne seront plus viables. Le
patron de Rosneft assure que la
Russie, deuxième pays producteur
mondial de brut derrière les Etats-
Unis et devant l’Arabie saoudite,
peut au contraire f aire face (tempo-
rairement, au moins) à la baisse des
cours en dessous des 30 dollars.
Chute du rouble de 7 %
Dans une économie fortement
dépendante des hydrocarbures
(30 % du PIB, 50 % du budget de
l’Etat), le plongeon des prix du
pétrole est un coup dur, qui
ampute directement le chiffre
d’affaires des compagnies. Le
rouble, lui, a chuté lundi de plus
de 7 %. Mais, pour les compa-
gnies pétrolières, un rouble fai-
ble n’est pas forcément une
mauvaise nouvelle, puisque
leurs revenus en devises n ationa-
les vont augmenter.n
Igor Setchine, l’homme qui a fait basculer
la stratégie pétrolière du Kremlin
Le puissant patron
de Rosneft, géant russe
de l’or noir, militait contre
l’accord avec l’Opep
qui renforçait le pétrole
de schiste américain.
lundi l’A gence internationale de
l’énergie (AIE), qui révise ses prévi-
sions pour la deuxième fois en
moins d ’un mois. « Le choc d e l’épidé-
mie sur le pétrole est disproportionné
parce qu’il t ouche avant tout les trans-
ports » , explique le directeur géné-
ral de l’AIE, Fatih Birol.
Retournement stratégique
La fin de l’alliance entre l’Arabie
saoudite et la Russie constitue un
retournement stratégique majeur
qui va bouleverser l’économie et la
géopolitique de l’énergie. Depuis
2016, l’Opep et dix autres pays
exportateurs de brut menés par
Moscou s’étaient mis d’accord pour
limiter leur production, ce qui avait
permis de faire remonter les cours.
Le but était de contrer le boom du
pétrole de schiste aux Etats-Unis.
Ce chapitre de l’histoire de l’or
noir s’est clos ce week-end : l’axe
Riyad-Moscou a volé en éclats. La
chute des cours risque de lourde-
ment pénaliser les producteurs de
schiste américains, déjà en diffi-
culté. C’e st là l’un des objectifs de
Vladimir Poutine, qui riposte aux
sanctions américaines contre les
groupes pétroliers et gaziers russes.
Le prince héritier saoudien
Mohammed ben Salmane est
maintenant entraîné dans la même
spirale. La réaction de l’Arabie
saoudite « est une tentative pour
punir et faire pression sur la Russie
tout en attaquant le secteur du
schiste aux Etats-Unis et beaucoup
d’autres producteurs qui ont des
coûts élevés » , expliquent l es experts
de la Société Générale. Mais
l’impact de la chute des prix sur la
production américaine ne sera pas
immédiat et insuffisant pour effa-
cer l’excédent de production de
l’Opep et de la Russie, préviennent-
ils. Au-delà des Etats-Unis, ce
niveau de prix extrêmement bas
fera souffrir tous les pays produc-
teurs, Russie comprise.
Coûts compétitifs en Russie
Les compagnies russes bénéficient
de coûts compétitifs qui leur per-
mettront de continuer à gagner de
l’argent, d’autant plus que le rouble
s’effondre. Mais le Kremlin a besoin
d’un baril à 42 dollars pour équili-
brer les finances publiques. Les
conséquences seront terribles pour
des pays pauvres dépendants de l’or
noir comme le Nigeria ou l’Angola.
Ou l’Irak, qui a besoin d’un baril à
plus de 60 dollars pour boucler son
budget. « Un pays comme l’Irak aura
de grandes difficultés à financer ses
services publics essentiels comme la
santé et l’éducation , note Fatih Birol.
Cette situation aura des conséquen-
ces sur la stabilité de la région. » n
autour de 70 %, et pour une
période qui ne dépasse pas dix-
huit mois. Surtout, cette nou-
velle guerre des prix touche des
producteurs déjà fragilisés par
une dette trop lourde. « Suite à la
forte baisse du pétrole au qua-
trième trimestre de 2018, le nom-
bre de dépôts de bilan a fortement
augmenté en 2019 » , avec 42 cas
contre 28 l’année précédente,
indiquait ainsi au début de
l’année le baromètre trimestriel
du cabinet Haynes & Boone. Sur
le seul dernier trimestre 2019,
neuf dépôts de bilan ont été
enregistrés, avec un montant de
dette total de 12,6 milliards de
dollars. Parmi ceux-ci, EP
Energy, la plus grosse
défaillance depuis 2016.
Hausse « inévitable »
des faillites
Alors qu’un juge de Houston
vient, vendredi, d’accepter le
plan de restructuration
d’EP Energy avec le soutien des
fonds Apollo et Elliott, la nou-
velle guerre des prix pourrait
donner raison aux détenteurs
de la dette d’EP Energy comme
Fidelity et JP Morgan, qui trou-
vait ses prévisions de rebond
trop optimistes. « Avec déjà 60 %
de la dette totale à rembourser
entre 2020 et 2024 en catégorie
spéculative selon Moody’s, les
efforts des producteurs améri-
cains pour lever plus d’argent
semblent déjà condamnés à
l’échec, estime l’assureur-crédit
Coface. Une augmentation du
nombre de faillites dans le secteur
en 2020 semble inévitable. » Cer-
tains producteurs comme Pio-
neer Energy ou EOG Resources
avaient fait des efforts pour amé-
liorer leur bilan depuis 2016.
Mais cela ne les a pas empêchés
d’être autant secoués que leurs
concurrents en Bourse lundi.
(
Lire « Crible »
Page 32
Véronique Le Billon
@VLeBillon
— Bureau de New York
Les débats auraient été intéres-
sants. Mais le coronavirus, avant
d’envoyer les cours d u pétrole au
tapis sur fond de désaccord stra-
tégique e ntre la Russie et
l’Arabie saoudite, avait déjà eu
raison de la Cera Week : cette
conférence annuelle, l’une des
plus grandes du secteur pétro-
lier, et qui devait débuter lundi à
Houston (Texas), a été annulée.
Plus encore que ceux des
grandes majors pétrolières, les
cours des producteurs indépen-
dants de pétrole de schiste ont
plongé, lundi à Wall Street :
Chesapeake Energy et Whiting
Petroleum chutaient respective-
ment de 25 et 36 % en séance ce
lundi. « Pour forer un nouveau
puits, un petit nombre de puits
bien choisis pourra être rentable à
30 dollars, mais l’essentiel du bas-
sin permien a besoin d’un cours à
au moins 45 dollars » , explique
Ben Shattuck, analyste au sein
du cabinet Wood McKenzie. A
moins de 30 dollars le baril de
WTI, le premier réflexe des pro-
ducteurs est de réduire la voi-
lure. Diamondback Energy,
dont le cours était presque divisé
par deux lundi, a déjà annoncé
une réduction d’activité « immé-
diate » pour un tiers de ses équi-
pes de forage. Un mouvement
qui s’ajoute à la baisse moyenne
de 14 % des dépenses et à la
réduction d’un quart des puits
forés l’an dernier, selon le rap-
port de l’Agence internationale
de l’énergie (AIE) publié lundi.
Si les producteurs se couvrent
toujours contre les variations de
cours, c’est le plus souvent
Les cours des produc-
teurs indépendants de
pétrole de schiste ont
lourdement chuté lundi
à Wall Street.
La chute des cours
menace les producteurs
de schiste américain
cet accord était « une menace
stratégique pour la Russie, qui fait
le jeu des Etats-Unis ». Un argu-
ment avancé de nouveau le
1 er mars, alors que des volumes de
pétrole avaient été retirés du
marché mondial (à la suite de la
prolongation de l’accord avec
Riyad) et remplacés par des volu-
mes de pétrole de schiste améri-
cain.
En présence de son ministre de
l’Energie Alexandre Novak, Vladi-
Avec des prix du baril
en chute libre,
les investissements
américains dans
le pétrole de schiste
ne seront plus viables.
Le patron de Rosneft
assure que la Russie
peut faire face
à la baisse des cours
du baril sous
les 30 dollars.
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Sophie Vinceneux
Tél. :0187397490
LA COMPAGNIE DES DESSERTS POURRAIT CHANGER
DE MAINS
La Compagnie des Desserts pourrait bel et bien changer de
mains dans le courant de l’année. Celui qui officie depuis fin
2016 comme l’actionnaire majoritaire du producteur-distribu-
teur de desserts et de glaces, Argos Wityu, prépare la cession de
sa participation. Selon « Capital Finance », le fonds d’investisse-
ment a choisi de se faire accompagner dans cette optique par la
banque d’affaires espagnole Alantra. Le chiffre d’affaires de la
société serait actuellement proche des 100 millions d’euros. La
Compagnie des Desserts avait réalisé une importante crois-
sance externe au Royaume-Uni il y a un peu plus de trois ans.
LE FONDS IK OUVRE LA PORTE À SA SORTIE DU CAPITAL
DES MAISONS DE RETRAITE COLISÉE
IK Investment Partners, actionnaire majoritaire de Colisée, le
numéro quatre français des Ehpad, pourrait enclencher prochaine-
ment sa sortie du capital. D’après les informations de « Capital
Finance », le fonds de LBO aurait laissé à la dirigeante du groupe,
Christine Jeandel, toute latitude pour mener des discussions avec
des investisseurs prêts à racheter sa participation à bon prix, avec
l’appui discret de Lazard. Selon plusieurs sources, une nouvelle opé-
ration, si elle venait à se matérialiser mi-2020, pourrait valoriser Coli-
sée p lus de 1,5 milliard d ’euros. Le groupe avait atteint la barre du mil-
liard d’euros de chiffre d’affaires grâce au rachat de son alter ego
belge Armonea, l’an passé, p our un peu plus de 500 millions d’euros.
L’ACTUALITÉDU M&AAVEC