22 |management JEUDI 12 MARS 2020
0123
CARNET DE BUREAU
CHRONIQUE PAR ANNE RODIER UNE SAINE CONFLICTUALITÉ
L
a médiation existait
bien avant de pousser la
porte de l’entreprise. Le
mot a fait son apparition
dans le dictionnaire au XIIIe siè
cle en France et dispose désor
mais d’une foule de synonymes :
intermédiaire, moyenneur, paci
ficateur, réconciliateur, etc. Sui
vre la trace d’une pratique ances
trale qui se transmet oralement
est difficile. L’un des premiers
écrits sur la médiation, L’Arbitre
charitable, date de 1666.
Son auteur, Alexandre de la Ro
che, explique que le 6 mars 1610,
le roi Henri IV avait déclaré que
dans « toutes les villes, cours et ju
ridictions du royaume, il y aurait
des consultants et arbitres cha
ritables, qui prendraient soin
des procès des pauvres gratuite
ment ». La médiation, c’est
« toute une histoire! », rappellent
JeanEdouard Grésy, Florence
DuretSalzer et Cristina Kuri
dans leur essai La Médiation au
travail (Deboeck Supérieur).
L’ouvrage s’intéresse à l’ins
tallation de la médiation en
entreprise, aux ressorts de son
déploiement et aux aptitudes
du médiateur. Illustré de nom
breux exemples et témoignages, le
livre s’adresse aux dirigeants, aux
manageurs et aux collaborateurs
convaincus par les vertus d’une
conflictualité saine et productive
pour maintenir la confiance et
renforcer les coopérations.
Pour comprendre pourquoi la
médiation se développe dans lesorganisations, les auteurs exa
minent sa dimension stratégi
que, puis précisent le contexte
affectif et subjectif dans lequel
elle s’opère, sans jamais perdre
de vue ses objectifs. La média
tion est évidemment un outil de
prévention des violences, qu’el
les soient sexuelles, sexistes et/
ou psychiques, et des discrimi
nations de toute nature. L’em
ployeur a l’obligation légale d’en
préserver ses salariés.Formation et expérience
Les organisations qui se mon
trent les moins exposées aux ris
ques psychosociaux ne sont pas
celles où l’on se dispute moins,
mais celles où l’on débat le
mieux sur la manière de réali
ser les tâches et d’exercer ses
fonctions, soulignent les trois
auteurs, respectivement anthro
pologue médiateur et conféren
cier, sociologue médiatrice et
formatrice et consultante mé
diatrice et formatrice.
L’ouvrage analyse les étapes de
la mise en place d’une médiation
en entreprise : « En premier lieu,
nous recherchons la raison d’être
de la médiation dans les relations
du travail, puis nous préciserons
la méthode et la posture du mé
diateur », expliquent les auteurs.
Si certaines attitudes du média
teur sont naturelles, d’autres
sont acquises grâce à la forma
tion et à l’expérience.
Le processus de médiation
est structuré en trois temps :« L’initiation du processus en
premier lieu qui s’avère souvent
le plus complexe ; la conduite
du processus ensuite qui révèle
de l’efficience de la posture
du tiers ; la pérennisation et le
suivi de la démarche ou les ac
cords trouvés enfin. »
En conclusion, les auteurs
soulèvent la question de la for
mation. « Il existe encore au
jourd’ hui autant d’approches
que d’acteurs de la médiation,
qui cherchent chacun à se
tailler une part du marché en
affirmant des spécificités parfois
aussi subtiles que dissonantes.
Difficile dans un tel contexte
de rassurer les prescripteurs po
tentiels quant à la qualité de l’in
tervention et d’asseoir la légiti
mité du médiateur au travail. »
margherita nasiLA MÉDIATION AU TRAVAIL.
COMMENT RÉUSSIR ?
de Jean-Edouard Grésy,
Florence Duret-Salzer et
Cristina Kuri,
Editions Deboeck supérieur, 2019,
326 pages, 22 euros.La traque du gaz radon débute en entreprise
La présence de cette substance cancérigène impose de revoir la ventilation des locaux
A
l’occasion de leur con
grès national, en juin,
à Strasbourg, les pro
fessionnels de la mé
decine et de la santé au travail
pourront assister à un sympo
sium autour du thème : « Le ra
don, un risque méconnu ». Un in
titulé qui reflète au mieux la si
tuation actuelle sur le sujet.
De fait, les dangers de ce gaz ra
dioactif sont aujourd’hui encore
largement ignorés au sein des
entreprises. « Le radon? Je sais
que le secteur de la construction
s’y intéresse, car nos sols volcani
ques représentent une zone à ris
que. Mais je n’ai jamais reçu
d’information ni de consigne sur
le sujet pour ma propre entre
prise », résume la directrice des
ressources humaines d’une PME
auvergnate du secteur agroali
mentaire. « La méconnaissance
peut même toucher les acteurs de
la prévention », constate Romain
Mouillseaux, expert d’assistance
conseil à l’Institut national de re
cherche et de sécurité pour la
prévention des accidents du tra
vail et des maladies profession
nelles (INRS).Comme l’indique Géraldine
Ielsch, chef du bureau d’étude
et d’expertise du radon à l’Ins
titut de radioprotection et de
sûreté nucléaire (IRSN), « il reste
encore un important travail
de pédagogie à réaliser ». Il s’agit
de faire connaître les nouvelles
obligations des entreprises en
la matière.
Depuis juillet 2018, ces derniè
res doivent, en effet, intégrer
l’exposition de leurs salariés au
radon à leur évaluation des ris
ques professionnels. La commu
nication en direction des organi
sations visant, dans le même
temps, à rappeler les dangers
parfois sousestimés du radon
pour la santé. Ce gaz radioactif
naturel émis par les sols est en
effet classé, depuis 1987, comme
« cancérigène certain pour le pou
mon » par le Centre international
de recherche sur le cancer (CIRC).
« Il est à l’origine de cancers
bronchopulmonaires et on lui at
tribue environ 3 000 décès an
nuels », explique l’INRS, soit 10 %
de ce type de cancer.Certaines régions plus exposées
L’exposition répétée à ce gaz sur
plusieurs dizaines d’années re
présente ainsi « un risque sani
taire chronique dont il faut se
préoccuper », note Mme Ielsch.
Un « risque fortement augmenté
par l’association avec le taba
gisme », précise M. Mouillseaux.
Cela vaut au domicile comme
dans les locaux de l’entreprise, où
les salariés passent une part im
portante de leurs journées.
Le sujet est l’objet d’une atten
tion toute particulière dans cer
taines régions, où les émissions
naturelles de radon sont plus im
portantes. C’est le cas des zones
aux sols granitiques ou volca
niques comme la Bretagne et
l’Auvergne. Pour autant, « toutes
les entreprises sont concernées
par la réglementation, notam
ment celles dont l’espace de tra
vail est situé en soussol ou au rez
dechaussée de bâtiments, explique M. Mouillseaux. Elles doivent
se poser la question du risque
radon ». Pour certaines d’entre el
les, en IledeFrance notamment,
une simple analyse documen
taire suffira.
Au regard de la cartographie
nationale du potentiel radon réa
lisée par l’INRS, elles pourront
ainsi rapidement conclure qu’el
les ne sont pas concernées par
une exposition importante.
Pour d’autres organisations, il
faut en revanche aller plus loin.
Dans les zones plus exposées, el
les doivent réaliser une mesure
de la concentration de radon
dans l’air intérieur. Celleci s’étale
sur deux mois minimum, de
préférence en hiver (lorsque la
ventilation naturelle est plus ré
duite). Si le niveau observé est su
périeur à un seuil de référence
(300 becquerels/m^3 en moyenne
annuelle), « l’employeur doit alors
mettre en œuvre des mesures de
réduction du risque pour abaisser
cette concentration », explique
Mme Ielsch. En pareil cas, le pro
blème provient souvent d’une
mauvaise évacuation du gaz,
qui a tendance à s’accumuler
dans les locaux. L’étanchéité des
sols ou des murs, mais aussi le
système de ventilation doivent
alors être revus.
Si de telles interventions sont
rares dans les entreprises françai
ses, on dispose davantage de re
cul concernant les établisse
ments recevant du public, qui
sont soumis à un suivi du risque
radon. « Nous avons l’obligation
de contrôler nos lycées », explique
ainsi Isabelle Pellerin, viceprésidente du conseil régional de Bre
tagne. Une concentration supé
rieure à 300 becquerels/m^3 a pu
être mesurée dans des salles de
plusieurs établissements. « En cer
tains cas, des mesures correctives
simples, consistant à s’assurer
d’une aération régulière des salles
ou de la bonne marche du système
de ventilation ont permis de régler
le problème », poursuitelle. Au ly
cée AugusteBrizeux de Quimper
en revanche, le centre de docu
mentation a dû, depuis 2019, être
fermé pour réaliser des travaux
avec « la mise en place d’une im
portante soufflerie dans les sous
sols », explique Mme Pellerin.La Bretagne très sensibilisée
La traque du radon débute égale
ment aujourd’hui dans quelques
entreprises bretonnes. Dans le Fi
nistère, AnneClaude PhilyDar
ruau, médecin du travail au cen
tre Santé au travail en Iroise,
indique avoir déjà suivi deux
organisations qui ont procédé à
des travaux à la suite de mesures
de concentration supérieures à
300 becquerels/m^3. « Une telle si
tuation ne concerne pas unique
ment des locaux en soussol »,
rappelletelle. L’une des deux en
treprises a ainsi relevé des taux
élevés en rezdechaussée.
Terre de granite, la Bretagne
apparaît plus sensibilisée que
d’autres régions à la question du
radon. Reste toutefois, ici aussi,
un important travail de péda
gogie à mener en direction
des entreprises, conviennent les
acteurs de la prévention. Un tra
vail auquel Mme PhilyDarruau
apporte sa pierre.
« Lorsque aucune mesure n’a été
réalisée, je fais un rappel de la loi
dans la fiche d’entreprise », expli
quetelle. Cela tout en rappelant
aux organisations une vérité par
fois éludée : « La présence du ra
don expose à un rayonnement io
nisant, il est cancérogène. Les
risques sont donc évidemment
importants. »
françois desnoyersLES CHIFFRES
3 000
C’est le nombre de décès
qui seraient attribuables
au radon, chaque année,
en France. C’est la deuxième
cause de cancer du poumon
après le tabac (10 % des décès)
selon l’Institut de radioprotection
et de sûreté nucléaire et Santé
publique France.300
C’est, en becquerels/m^3 ,
la concentration de radon
moyenne annuelle à partir
de laquelle l’employeur
doit prendre des mesures.AVIS D’EXPERT | GOUVERNANCE
Retraites : peuton parler de résistance?
L
a réforme des retraites a débouché sur une
crise sociale qu’on a parfois interprétée, de
manière un peu simpliste, comme une in
capacité congénitale de la France à se réformer.
Pourtant, on ne compte pas les réformes qui, de
puis quarante ans, ont été engagées par les gou
vernants successifs dans tous les domaines, édu
cation, travail, retraite, santé... La France semble
une championne des réformes à répétition.
Il est vrai que la façon dont celleci a été menée
pourrait servir de cas d’école sur ce que les ma
nageurs appellent la résistance au changement.
Depuis les années 1980, les entreprises sont, el
les aussi, des championnes de la réforme perma
nente de leurs structures, de leurs processus ou
de leurs règles. L’implication des collaborateurs
dans ces changements est indispensable. Que
nous enseigne, à ce propos, la récente réforme
des retraites? Essentiellement, que la prise en
considération des différentes raisons de résister
à un projet de changement détermine sa réus
site. On en relève au moins quatre.Une communication intense
D’abord, les collaborateurs résistent quand ils ne
comprennent pas en quoi le changement est né
cessaire. En réponse, on déploie une communi
cation intense, en faisant le pari que s’ils saisis
sent l’urgence du changement, ils y adhèrent. Il
ne faut pourtant pas abuser de cette hypothèse :
l’expérience montre que ceux qui résistent sont
convaincus que les choses doivent évoluer. Les
enquêtes révèlent qu’une grande partie des
Français pensent que l’âge de la retraite sera re
poussé, et pourtant une majorité d’entre eux ont
soutenu le mouvement social contre la réforme.
Deuxième raison de résister, la mise en cause
des avantages propres à des minorités actives.
Les exemples n’en ont pas manqué sur les régi
mes de retraite. Mais même quand les promo
teurs du changement sont exemplaires sur le su
jet, ils ne peuvent pas s’étonner qu’il faille affronter ceux qui défendent leurs privilèges. Le
plus étonnant, c’est quand les nonprivilégiés ne
les soutiennent pas. Cela peut tenir au fait que
ceuxci ne voient pas en quoi le changement
proposé améliore leur propre situation.
C’est une troisième raison de résister : les ini
tiateurs sont dans l’incapacité de préciser
quels seront les effets positifs du changement.
On voit ce qui est détruit, pas ce qui est construit.
Ainsi en atil été quand les autorités n’ont pas
été en mesure de chiffrer les économies atten
dues ou de proposer un simulateur permettant
le calcul des retraites après réforme.
Quatrième raison de résister : le changement
proposé paraît contra
dictoire avec la réalité vé
cue. Ainsi, selon l’Orga
nisation de coopération
et de développement
économiques (OCDE),
le taux d’emploi des
6064 ans, en 2018, est
de 30 % en France. Allon
ger le temps d’activité
professionnelle jusqu’à
64 ans suppose de créer
des milliers de postes pour les seniors. Or, ni la
culture actuelle des entreprises ni aucun enga
gement préalable à la réforme n’ont rassuré en
ce sens. D’où le sentiment anxiogène qu’on aura
à travailler plus longtemps dans une société où il
n’y a déjà pas assez d’emplois pour les plus âgés.
Finalement, la plus grande erreur consiste à
croire que les raisons de résister au change
ment sont toujours infondées et qu’elles ne
peuvent pas enrichir le projet de transforma
tions. Arrogance souvent fatale aux réformes,
et qui explique peutêtre, comme le notait déjà
Vauban, en 1671, que « les Français commencent
tout mais n’achèvent rien ».PierreYves Gomez est professeur à l’EM LyonLA PRISE EN
CONSIDÉRATION
DES RAISONS
DE RÉSISTER À UN
PROJET DÉTERMINE
SA RÉUSSITE
D
epuis le 7 mars, les entreprises ont dû réaliser un
entretien bilan des six ans d’évolution profes
sionnelle de leurs salariés. Qui a gagné en compé
tences? Quels salaires ont été revalorisés sur cette
période? Il y a six ans, la loi du 5 mars 2014 sur la formation
professionnelle a instauré des entretiens bisannuels, conçus
pour suivre la progression de leurs équipes. Comment les or
ganisations abordentelles le sujet de l’employabilité?
Dans quelques grands groupes, l’évolution professionnelle
est inscrite dans la politique managériale. « Une certaine
mobilité dans l’entreprise apporte un autre regard sur le poste,
estime Armelle Levieux, la DRH groupe d’Air liquide. Mais la
mobilité s’inscrit dans la durée. Il y a une quinzaine d’années,
les opérateurs sur les postes d’experts techniques ne bou
geaient pas aussi souvent que les cadres : au bout de cinq ans
au lieu de trois. Ils souhaitaient évoluer. On a créé un parcours
en six niveaux pour leur permettre de progresser en responsa
bilité et en salaire tout en restant dans leur expertise. »
Mais les pratiques de formation répondent d’abord aux
enjeux d’innovation et de concurrence. « De quelles compé
tences avonsnous besoin? », interrogeait ainsi Valérie Le Bou
langer, la DRH du groupe Orange, en pré
sentant, début février, le plan stratégique
Engage 2025, un investissement de 1,5 mil
liard d’euros dans la formation. « La digita
lisation progresse de façon phénoménale
et fait évoluer les compétences requises. L’ac
compagnement des collaborateurs est un
enjeu stratégique. Lorsque Orange Campus a
été créé en 2010, c’était une université dédiée
au management du groupe. Nous avons dé
cidé de passer à une école en réseau ouverte
à tous les salariés », a souligné la DRH. Recherche de compé
tences rares et évolutives, intérêt collectif à développer la mo
bilité interne, la transformation numérique a ainsi conduit la
plupart des grands groupes, Orange, comme Air liquide par
exemple, à repenser leur référentiel métier. Les entreprises
sont amenées à recenser précisément les compétences mai
son pour déployer un programme de formations qui intègre
une redistribution des tâches. « Chez Orange, nous sommes
directement impactés par ces mutations. 85 % des emplois de
2030 n’existent pas aujourd’hui », indique Mme Le Boulanger.
L’entreprise a, certes, une responsabilité légale à l’égard de
l’employabilité des salariés, mais l’organisation passe à l’acte
quand l’intérêt est partagé. Ne compter que sur la contrainte
légale pour inciter les entreprises à développer l’employabi
lité des salariés serait un leurre. Estce une raison pour s’en
priver? Dans un questionréponse sur l’entretien pro
fessionnel publié le 27 février, le ministère du travail indique
qu’en cas de nonrespect des obligations, l’employeur « doit
spontanément abonder le compte personnel du salarié ». Si
le bilan des six ans est insatisfaisant, l’employeur est ainsi
invité à s’autosanctionner.LES PRATIQUES
DE FORMATION
RÉPONDENT
AUX ENJEUX
DE L’ INNOVATION
Depuis juillet 2018
les entreprises
doivent intégrer
le radon à
l’évaluation
des risques
professionnelsL’entreprise, la loi
et les compétences