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JEUDI 12 MARS 2020 culture| 27Max von Sydow,
échec et mat
Le comédien a tourné pour les
plus grands, de Bergman à Lynch.
Il est mort le 8 mars, à 90 ans.
DISPARITION
U
n visage long et lugu
bre, une taille déme
surée, une cotte de
mailles, une épée.
C’est ainsi que l’acteur Max von
Sydow a marqué des générations
de cinéphiles en interprétant un
chevalier de retour de croisade
défiant la mort dans une partie
d’échecs. Son allure spectrale si
gne Le Septième Sceau (1956), le
premier de la dizaine de longs
métrages qu’il tournera sous la
direction du cinéaste suédois
Ingmar Bergman (19182007), et
sa longue carrière peuplée de se
conds rôles inquiétants. Diman
che 8 mars, la mort a définitive
ment gagné. Echec et mat. Max
von Sydow est mort à l’âge de
90 ans, en Provence.
Né à Lund, en Suède, le
10 avril 1929, d’un père ethnolo
gue et professeur d’islandais et
d’une mère institutrice, Max
von Sydow grandit dans un mi
lieu favorisé. « Il y avait un ci
néma mais nous n’y allions pas »,
se souvenaitil. C’est le théâtre
qui l’attire. Première découverte
alors qu’il a 15 ans, à l’occasion
d’un voyage scolaire à Malmö. Le
Songe d’une nuit d’été l’éblouit.
« Après ça, atil confié en 2012 au
quotidien La Croix, mes copains
et moi avons décidé de créer un
petit cercle théâtral dans notre
école et, sans l’aide de nos profes
seurs, nous avons monté quel
ques pièces suédoises. » Il décide
de devenir comédien et se pré
sente au concours de l’école du
Théâtre royal de Stockholm. Il
est admis. Ses parents sont ras
surés. Le directeur est l’un des
collègues de son père.Devenu acteur professionnel,
Max von Sydow fait la connais
sance capitale d’Ingmar Bergman
par l’intermédiaire de l’épouse de
l’écrivain Stig Dagerman (1923
1954). De dix ans son aîné et déjà
réputé, Bergman dirige, au début
des années 1950, le théâtre de
Malmö et met en scène ses pre
miers films. Le double mètre de
Max von Sydow le désigne pour
jouer le rôle énigmatique du che
valier Antonius Block, du Sep
tième Sceau, récompensé du Prix
du jury à Cannes, en 1957. Un duo
acteurréalisateur est né.Bergman, le mentor
Six des neuf films suivants de
Max von Sydow seront réalisés
par le maître du cinéma suédois.
Une collaboration avec Ingmar
Bergman qui s’achèvera au début
des années 1970, avec Le Lien
(1971). « Peu à peu, j’ai cessé de
considérer chaque film comme
une aventure séparée. Les douze
films que nous avons tournés en
semble, toutes les pièces que nous
montions entre les films, consti
tuent pour moi désormais une
seule œuvre, la plus importante
artistiquement et spirituellement
à laquelle j’ai contribué. Ma grati
tude pour lui est sans limite. »
Le succès des films de son men
tor lui ouvre d’autres portes. A
partir du début de 1965 et de son
rôle de Jésus dans La Plus Grande
Histoire jamais contée, de George
Stevens, il inaugure une carrière
internationale, où il va peaufiner
son emploi d’homme ambigu, si
non foncièrement méchant.
Sa filmographie témoigne de
son épanouissement dans des
films les plus divers où il apporte
sa touche menaçante et glaciale,comme un hiver septentrional.
(« Pourtant je suis gentil », di
saitil.) L’acteur se multiplie dans
des productions les plus diverses.
Un colonel russe dans La Lettre du
Kremlin, de John Huston (1970),
le père Lankester Merrin dans
L’Exorciste, de William Friedkin
(1973), un rôle exigeant quatre
heures de maquillage chaque ma
tin pour se vieillir, un tueur de la
CIA dans Les Trois Jours du Condor,
de Sydney Pollack (1975). Il s’ins
talle méthodiquement dans un
emploi de second rôle essentiel,
immédiatement reconnaissable,
même si beaucoup de spectateurs
ignorent son nom.
Passant d’un continent à l’autre,
et profitant de sa maîtrise des lan
gues, on le retrouve en Europe, où
il tourne avec Francesco Rosi (Ca
davres exquis, 1976) ou Bertrand
Tavernier dans La Mort en direct(1980). Avec un tel physique et un
visage taillé à la serpe, il ne pou
vait échapper au rôle de l’ennemi
juré de James Bond, dans Jamais
plus jamais (1983). Il se plaignait
parfois de la répétition de ses rô
les. « On reçoit beaucoup d’offres
pour faire exactement ce qu’on a
déjà fait, déploraitil. Donc, on at
tend. J’attends toujours qu’on me
confie un grand rôle comique. »Mémoire du cinéma
Aussi à l’aise dans des blockbus
ters que dans des films d’auteur,
Max von Sydow jongle entre les
uns et les autres. David Lynch
pour Dune (1984), Woody Allen
dans Hannah et ses sœurs (1986 –
l’un de ses auteurs préférés qui,
sans doute, lui rappelle Ingmar
Bergman), Wim Wenders (Jus
qu’au bout du monde, 1991), Ste
ven Spielberg (Minority Report,2002), Martin Scorsese (Shutter
Island, 2010), ou encore Bille
August (Pelle le conquérant, 1987),
qui marque son retour en Scandi
navie, font appel à lui, comme s’il
charriait toute la mémoire du ci
néma – ce qui était en partie vrai.
Cette filmographie aussi riche
(150 films selon les uns, un peu
moins selon lui) que choisie ne lui
valut aucune récompense parti
culière. Ironie du sort, c’est grâce à
un de ses derniers rôles entière
ment muet dans Extrêmement
fort et incroyablement près (2012),
de Stephen Daldry, qu’il fut pro
che de remporter un Oscar. Marié
à la documentariste Catherine
Brelet, il passait le plus clair de
son temps en Provence.
En plus de soixante ans de car
rière, Max von Sydow fut au
rendezvous de la quinzaine
de grands films, voire de
chefsd’œuvre, qui font une car
rière – même si de nombreux
autres longsmétrages témoi
gnent d’une préoccupation plus
alimentaire, ainsi de Star Wars et
de la série Game of Thrones, qui
l’accueillirent à leur générique.
« Existetil un autre humain qui a
serré la main d’Ingmar Bergman
et celle de Leonardo DiCaprio?
Tourné à la fois avec Arnold
Schwarzenegger et Sylvester Stal
lone, Catherine Deneuve et Tom
Cruise, Orson Welles, David Lynch
et Woody Allen, John Wayne et Léa
Seydoux, incarné Jésus, pour
chassé James Bond, combattu le
Diable et joué aux échecs avec la
Mort? », se demandait l’hebdo
madaire Les Inrockuptibles en in
troduction d’un portrait de l’ac
teur publié en 2012. On a beau
chercher, on ne trouve pas.
philippe ridetLa rappeuse Casey sort les griffes
Dix ans après « Libérez la bête », elle revient avec un album fusion au sein du groupe Ausgang
MUSIQUE
C
asey occupe une place à
part dans la scène rap
française. La rappeuse
qui vit au BlancMesnil, en
SeineSaintDenis, est un électron
libre. La qualité de ses textes, de
son flow, la place souvent audes
sus de la mêlée. Elle s’est égale
ment affranchie du diktat de l’in
dustrie du rap, qui voudrait qu’un
rappeur sorte un album par an et
gagne les premières places du top
albums dès la première semaine
de sa sortie, sous peine de passer
pour un loser.
La dernière collaboration de
Casey sur disque date de 2014, avec
le groupe Asocial Club, pour le re
marquable Toute entrée est défini
tive. Son dernier album solo, Libé
rez la bête, de 2010. Entretemps,
l’artiste a travaillé avec Zone libre,
le groupe de Serge TeyssotGay, ex
Noir Désir, a fait un doublage pour
la série d’animation Vermin, créée
par Alexis Beaumont, s’est enga
gée auprès du Prix Nobel de la
paix Adolfo Perez Esquivel, et est
actuellement au théâtre avec
Virginie Despentes et Béatrice
Dalle pour Viril, un spectacle de
David Bobée qui met en scène des
textes féministes et antiracistes.Pour autant, Cathy Palenne,
45 ans, qui aime à se présenter
dans son disque comme « cette
anomalie du 93 avec une gueule ca
ribéenne », n’en a pas fini avec la
musique. Casey publie l’album
Gangrène, avec son nouveau
groupe, Ausgang, où elle pose ses
rimes et son flow énervé sur la gui
tare de Marc Sens (exZone libre),
la basse de ManuSound ou la bat
terie de Sonny Troupé. Dans ce
disque, cet « être hybride », formule
qu’elle emploie pour se définir, lie
ses deux amours : le rap et le rock,
qu’elle écoute depuis son adoles
cence, celui des Britanniques
Asian Dub Foundation, des Améri
cains Fishbone et Anthrax. « Je
trouve que le rock et le rap ont une
énergie similaire, la guitare est un
cri en soi, alors moi, je ne suis pas
très loin d’accompagner le truc. »
La majorité des dix morceaux de
son album évoquent un senti
ment d’enfermement, à l’instar de
Aidezmoi, Comme une ombre,
Elite ou Bonne conduite, dont le re
frain est « Marche droit, tienstoi
bien ». Une injonction que Casey
semble étendre à toutes les strates
de la société et à tous les sujets :
« Ce qui est dans le disque n’est pas
forcément une tribune, prévient
elle. Ce sont des personnages avecdes cris intérieurs, qui essaient de
cracher leur réalité. Bonne con
duite parle, en effet, de ce senti
ment d’être réglé, d’être cadré, de
toujours marcher dans les clous, de
ne pas être soimême, d’avoir à se
comporter correctement pour être
validé ou être reconnu. »Plume acerbe
Dans son album, elle dézingue
aussi bien les petites frappes que
les élites. Mais elle garde une pe
tite préférence pour les filous,
qu’elle épingle sur un titre léger,
Crapule. « On peut difficilement en
vouloir à la crapule, s’amusetelle,
sa crapulerie est exubérante, gran
diloquente. Une crapule, ce n’est
pas encore un salopard, c’est celui
qui fait des trucs un peu médiocres.
On peut avoir de la tendresse pour
lui. Lui ne se sortira jamais de ses
crapuleries. Il est enfermé dedans. »
Dans Elite, elle vise en revanche
ceux qui abusent de leur pouvoir :
« Ceux qui pèsent de tout leur poids
pour le garder, précisetelle, quitte
à faire des victimes. C’est ça, l’éli
tisme, avoir appartenu tellement
longtemps à une frange qui était
protégée que quand elle tombe de
son socle, elle ne comprend pas ce
qui lui arrive – comme les Balkany.
Tout ce qu’ils peuvent faire, c’estcrier à l’injustice, c’est d’ailleurs la
seule injustice qu’ils sont capables
de ressentir, celle qui les frappe. »
Sa plume acerbe ne se contente
pas d’égratigner les grands de ce
monde. Casey réédite le procès en
vacuité qu’elle avait fait aux rap
peurs, aux chanteuses de R’n’B ou
de variété française dans son mor
ceau de 2010, Apprends à te taire.
En fréquentant la scène rock fran
çaise pour montrer Ausgang, la
rappeuse a eu le temps de se faire
une idée du milieu : « Il ne s’y passe
pas grandchose, en fait, résumet
elle. Il ne se passe tellement rien
qu’ils chantent tous en anglais
pour être bien sûr de ne rien dire.
Dans le rock, il peut y avoir un mé
pris du rap, mais les rappeurs sont
encore les seuls qui sont en prise
avec leur environnement et qui en
parlent... Je ne suis pas toute la pro
duction du rock français, mais ce
que j’ai vu, ça chante en anglais. La
langue maternelle, c’est celle de
l’émotion. Quand tu chantes dans
une autre langue, tu t’éloignes de
ton affect, tu le mets à distance.
Quel danger y atil donc à parler
dans sa langue? » Un danger que
Casey ignore totalement, elle.
stéphanie binetGangrène, 1 CD Aparté.A Cannes,
en mai 2013.
PHILIPPE QUAISSE/
PASCOAussi à l’aise
dans des
blockbusters que
dans des films
d’auteur, l’acteur
jongle entre les
uns et les autresP R I X R E N A U D O T
Garcin démissionne
Le journaliste de L’Obs
Jérôme Garcin quitte le jury
du Renaudot, prix mis en
cause pour avoir récompensé
l’écrivain pédophile Gabriel
Matzneff en 2013, et souhaite
être remplacé par une femme,
selon un courrier adressé
aux membres du jury, révélémardi 10 mars par l’hebdo
madaire. « Je ne pars pas seu
lement en raison de l’affaire
[Vanessa] Springora (...), mais
aussi pour les vices de forme
qu’elle a révélés, notamment
la recherche des “coups”,
au détriment de la littérature,
et l’aberrante constitution
d’un jury à 90 % masculin »,
précise Jérôme Garcin.LES DATES
10 AVRIL 1929
Naissance à Lund (Suède)1956
« Le Septième Sceau »,
d’Ingmar Bergman2010
« Shutter Island »,
de Martin Scorsese8 MARS 2020
Mort en Provence©Juliette-Andrea Élie17, bd Jourdan, Paris 14 –tarifs de 7 à 23 €
réservations 01 43 13 50 50www.theatredelacite.comVie de JosephRoulin
ThierryJolivetTEXTE DEPierreMichon
THÉÂTREn19›27 MARS