22 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi^25 Mars 2020
Culture/
1 AVEC 8,6 GRAMMES
DANS LE SANG
2008, année héroïque. Le temps de la dance en
stade, avant l’EDM pour spring breakers mais
bien après les derniers jours du disco, quand
plus personne hors de l’underground n’utilisait
le mot «house» mais Justice et Boys Noize ven-
daient des CD par dizaines de milliers. Un âge
de musique electro un peu limite, pour tout
dire, méchamment virile, plus alcoolisée que
droguée et que beaucoup renient aujourd’hui
mais dont ceux qui l’ont vécu de première
main se souviennent avec émotion. C’est ce-
lui-là même que l’Anglais Erol Alkan (photo),
producteur indie de talent qui s’était fait
connaître avec des remix de groupes de rock
dansant et sans intérêt (qui aujourd’hui écoute
encore les Klaxons ou DFA 1979 ?) ressuscite
devant nos oreilles avec ce mix inédit, enregis-
tré live au festival néerlandais Lowlands avec
un micro ouvert au public qui hurle à chaque
break, comme poussé du haut d’une falaise. Et
on est surpris de la vie qu’on trouve dans ces
hybrides techno rock plein de basslines trop
grasses et de charleys surcompressés : c’est mo-
che et too much, souvent, ça frise l’absurde en
permanence, mais c’est aussi passionné et,
avec le recul, franchement marrant. O.L.
A écouter sur Mixcloud.
2 AVEC UNE ARME EN PLASTIQUE
Après un remarquable et remarqué re-
vival paru en 2016 sous le simple titre de Doom,
la canonique série de jeux de tir fait son retour
dans une ambiance on ne peut plus ac-
cueillante, puisque le joueur est très vite in-
formé que «la majorité de la population est
morte pendant le premier mois de l’invasion in-
fernale». De quoi abandonner tout espoir, s’il
en demeurait une lueur après quatre jours de
confinement, dès les premiers mètres parcou-
rus sur une Terre tristement dévastée par des
hordes de démons. Le programme consiste en
une expérience +++ : plus grande, plus belle,
plus dure, dans des niveaux d’une méticulosité
impressionnante. Il en résulte un défouloir
aussi exigeant que généreux, et un excellent
rappel que les jeux les plus malins aiment par-
fois se faire passer pour les plus profondément
débiles. F.D.
Doom Eternal Développé par
id Software, édité par Bethesda Softworks.
Sur Xbox One, PS4, PC et, plus tard, Switch.
3 AVEC UN SAMOVAR
«Tout est terriblement embrouillé. J’ai
très mauvais moral», écrivait Andreï Tarkov-
ski dans son journal en 1974. On ne va pas ra-
conter d’histoire, ce n’est pas le cinéaste qui
vous plongera dans un bain salvateur de ri-
golade collective mais il se trouve que son
œuvre est visible gratuitement sur le site
Russie.fr. Prophétique et désenchanté, on se
souvient que le cinéaste, fils de poète, signait
Stalker en 1979, vision d’un territoire indus-
triel dépeuplé et rendu à la nature sauvage,
la «Zone». Obnubilé toute sa vie par le déca-
lage entre progrès matériels et décadence
spirituelle, Andreï Tarkovski peut être un
bon guide énigmatique et altier pour trans-
former notre enfermement sanitaire en pa-
renthèse grandiose. D.P.
A voir sur Russie.fr.
4 AVEC GOÛT
ET SANS TICKET
Cela fait quelques années que le musée Gug-
genheim de New York offre, via la plateforme
internet Archives, la consultation gratuite
d’une soixantaine de catalogues courant
de 1937 à 2006. Si l’outil est quotidiennement
inestimable pour quantité de chercheurs, il
faut avouer que par ici, un confinement aura
été nécessaire à son exploration enthousiaste
(mieux vaut tard que jamais).
Dérouler la page des couvertures (le gra-
phisme de celles des années 60 est
réjouissant) produit un effet étrange, propre
à notre situation d’immobilité longue durée :
après la peur de rater un truc, se pressent
l’évidence d’avoir raté plein de trucs. On
n’était pas à New York pour la rétrospective
Philip Guston de 1962 (beau catalogue hyper
complet) ni pour celle de Soto en 1974 (édi-
tion au cordeau) et toujours pas pour celle de
Jenny Holzer en 1989, dont le catalogue, pré-
sentant beaucoup de photos de ses Truismes
coup-de-poing exposés dans les lieux de
passage de foules, alimente une étrange nos-
talgie créée par notre état dissociatif. Le tout
est mis à disposition avec quantité d’outils
fort pratiques – zoom, recherche par mots-
clés, etc. É.F-D.
Sur la plateforme Archive.org.
5 Avec un rire
Vengeur
En 2014, Chris Esquerre avait anticipé que
ses pitreries s’adresseraient un jour à un pu-
blic de reclus aux cheveux gras, la mine pati-
bulaire, travaillée d’un mauvais teint jaune
par le manque de lumière naturelle. Sinon,
pourquoi cette invite au début de son pas-
sage aux Bouffes parisiens : «Ce spectacle est
gratuit pour les gens très laids»? La captation
s’offre donc librement sur YouTube à l’usage
de nos loisirs d’ermites repoussants. Armé
de l’attirail du conférencier, l’humoriste
y arrose l’auditoire de ses théories défini-
tives sur l’éducation. C’est drôlissime, et les
parents dont la dernière étincelle de vie
n’aurait pas été absorbée par le huis clos pro-
longé avec leurs marmailles y trouveront
leur compte. S.O.
Muté au théâtre
des Bouffes
de Chris Esquerre sur YouTube.
En guerre contre l’ennui :
des platines, des démons
et des icônes
Chaque jour de la semaine,
«Libé» vous propose une
sélection adaptée à la vie
en confinement, en attendant
la capitulation du Covid-19.
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Getty Images. AFP
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id Software. Bethesda
Potemkine Films
The LIFE Images Collection via G