Libération - 25.03.2020

(Steven Felgate) #1

Libération Mercredi 25 Mars 2020 u 25


Culture/


Dargaud, en 1961. Photo Paul Almasy. akg-images


bande dessinée humoristique, en as-
sociant un humour plutôt sophisti-
qué pour l’époque à un dessin de type
“gros nez”.» Leur première collabo-
ration s’appelle Oumpah-Pah et est
consacrée à un Indien qui sort de sa
réserve pour se mêler aux Améri-
cains. Aucun éditeur n’en veut et
l’idée, lancée en 1951, n’aboutira que
plusieurs années plus tard. Pas dé-
couragés, ils enchaînent les séries.
Pour la Libre Belgique, ils créent
Luc Junior, un journaliste accompa-
gné d’un petit chien blanc nommé
La Plaque (toute ressemblance avec
un concurrent...) ou les aventures de
Jehan Pistolet, inspirées des romans
d’aventure. Le tandem se rode. En
rétrospective, certains projets pa-
raissent ovniesques, comme ce Bill
Blanchart au dessin hyperréaliste
en 1957 pour le mensuel Jeannot.

Le Raz-de-Marée
Gaulois
La bande de dessinateurs qui,
comme lui, sont installés à Paris et
employés en Belgique finissent par
vouloir faire valoir leurs intérêts. La
World Presse, qui les emploie, a
transposé le modèle américain de
la syndication. Un soir, une salle est
louée pour discuter franchement
des moyens d’obtenir de meilleu-
res conditions de travail. L’affaire
se sait et est mise sur le dos de la
grande gueule Goscinny, qui s’en-
tend dire «Uderzo trouvera toujours
du travail, toi jamais», avant d’être
viré. Uderzo et Jean-Michel Charlier
démissionnent de la World Presse.
Pour vivre, le dessinateur signe des
récits pour des revues payées par
des marques de pâtes ou de choco-
lat. «A cette époque-là, on faisait
n’importe quoi pour subsister», ex-
plique Uderzo. Goscinny, qui tra-
vaille aussi pour le magazine Tintin,
y fait la retape du dessinateur. Une
fois dans la boucle, ce dernier re-
vient à la charge avec Oumpah-Pah,
présentant une version transposée
à l’époque de la naissance de l’Amé-
rique. La série durera trois ans,
de 1958 à 1961, et tiendra lieu de der-
nière répétition avant Astérix. On y
trouve un petit village indien, un
chef, des pirates... Et le trait
d’Uderzo est déjà en place.
A côté de leur travail pour Tintin,
Goscinny et Uderzo sont contactés
par quelqu’un qui cherche à lancer
un nouveau journal jeunesse, dont
l’ambition est de mettre en avant
des productions inspirées de la
­culture française. Histoire de se
­démarquer de l’omniprésente
­influence américaine. Le magazine
s’appelle Pilote et changera la desti-
née des deux hommes.
En parallèle à sa collaboration avec
Goscinny, et avant d’évoquer sa
­série phénomène, Suite page 26

manquante par un canon
lui permettant de se propulser dans
l’espace. Un gros nez, déjà.
Parfait autodidacte (il passera une
journée en école de dessin, avec
l’idée de rejoindre l’équipe d’anima-
tion de Paul Grimault, avant de lâ-
cher l’affaire), Uderzo se nourrit
d’une esthétique dont les standards
ont été fixés dans les pages du Jour-
nal de Mickey, auxquels il agrège les
leçons apprises de Calvo, côtoyé à la
Société parisienne d’édition.
Il travaille ensuite pour le magazine
OK. Son héros s’appelle Arys Buck
et Uderzo, fasciné par les Etats-Unis
comme tous les dessinateurs de
l’époque qui y voient un eldorado,
signe «Al». A l’américaine. L’affaire
ne dure qu’un temps et Uderzo est
à deux doigts de plaquer la BD, faute
de boulot, quand on lui conseille
de frapper à la porte de la grande
presse. Il devient alors illustrateur
de faits divers pour France-Soir ou
France dimanche, une formidable
école du dessin réaliste qui, en plus,
paie convenablement. Il découvre
aussi les tribunaux, lorsqu’on l’atta-
que pour avoir représenté un cam-
briolage par le détail, ce qui pourrait
donner des idées à certains...
Mais la bande dessinée le titille tou-
jours et Uderzo finit par rejoindre
un ­atelier de dessinateurs installé
sur les Champs-Elysées. Le coin est
alors plus chic que touristique et
la bande d’amis travaille en cos­-
tume-cravate pour mieux sortir
après. Alors qu’exceptionnellement,
il bosse depuis chez lui, quelqu’un
frappe à sa porte pour récupérer des
planches en retard : c’est un certain
René Goscinny, fraîchement débar-
qué d’Amérique. Un autre Italien,
se réjouit Uderzo. Pas de chance,
ça s’écrit avec un «y» : l’homme
est polono-argentino-américano-
français. Il rejoint le studio et ne
tarde pas à devenir bon ami avec
Uderzo. Goscinny est meilleur
­scénariste que dessinateur ; l’in-
verse, précisément, de son com-
parse. «On a donc décidé, pour le
meilleur comme pour le pire, de tra-
vailler ensemble.»
On est en 1951. Le début d’une épo-
que de profondes transformations
pour Uderzo. Un an après avoir ren-
contré Goscinny, il fait la connais-
sance d’Ada, qui devient sa femme
en 1953. Un mariage à l’église pour
faire plaisir à la belle-famille, même
si Uderzo est profondément déta-
ché de la foi – pas anodin dans une
famille d’immigrants italiens.
Le duo Uderzo-Goscinny accroche
tout de suite, se retrouvant autour
d’un amour sans fin pour Laurel et
Hardy et les dessinateurs améri-
cains. «Nous nous sommes trouvé des
ambitions communes, expliquait
Uderzo. Nous voulions faire de la

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