Le Monde - 11.03.2020

(avery) #1

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MERCREDI 11 MARS 2020 international| 3


je n’ai été que blessée. J’ai commencé à appren­
dre à écrire de la main gauche. »
Le stade de foot municipal a aussi été réqui­
sitionné. Les naufragés de la guerre s’entas­
sent dans ses travées, ses gradins et ses sous­
sols. Seule la pelouse a été épargnée. « On
avait peur, si l’on dressait une grande tente
dessus, que ce soit une cible parfaite pour les
avions d’Assad », explique Abdel Razek Awad,
le responsable local de l’ONG syrienne Violet,
très présente sur le terrain. Dans une grande
salle à côté des douches, l’organisation a
aménagé un dortoir pour une quarantaine
de familles. Bâche en guise de tapis, matelas
alignés contre les murs et des poêles à char­
bon pour le chauffage. « Ce stade était un lieu

de fête, c’est maintenant un endroit rempli de
tristesse », dit Abdel Razek.
Le regard de Samira Dahoul, une vieille
dame, emmitouflée dans un gilet de laine
bleu, se voile à l’évocation de ses fils, dont
elle a perdu la trace dans sa fuite. « Je crois
qu’ils sont partis au Liban, trois autres sont
morts dans les combats, je suis toute seule
maintenant », bredouille­t­elle. A ses côtés, le
visage ceint d’un élégant voile vert, Hasna
Mustafa, la quarantaine, pleure sa maison du
Djebel Zawiya. « Je voulais rester à côté de la
tombe de mon fils, qui est mort au combat,
dit­elle. Je ne supporte pas de me dire qu’il sent
que je suis partie. Mais je sais que je ne
pourrais pas vivre avec ceux qui l’ont tué. Et,

Les promesses ambiguës


des djihadistes d’Idlib


Le groupe Hayat Tahrir Al­Cham veut changer son image et ses
méthodes pour ancrer dans la durée sa domination sur la région

idlib (syrie)­ envoyé spécial

C’


est l’une des inconnues
dont dépend le sort de
l’enclave d’Idlib : l’évo­
lution du groupe Hayat Tahrir Al­
Cham (HTC), force dominante
dans cette région du Nord­Ouest
syrien, ultime possession des an­
ti­Assad. Excroissance du Front
Al­Nosra, la branche syrienne
d’Al­Qaida, à l’avant­garde de l’in­
surrection dans les années 2013­
2015, cette faction armée, classée
terroriste par l’ONU et les capita­
les occidentales, s’est éloignée de
sa matrice djihadiste.
Dans une interview qu’il a ac­
cordée fin janvier à l’Internatio­
nal Crisis Group (ICG), un cercle
de réflexion sur les conflits dans
le monde, le chef du groupe, le
Syrien Abou Mohammed Al­Jou­
lani, a insisté sur cette transfor­
mation. « J’ai été influencé par un
milieu salafisto­djihadiste, né d’un
désir de résister à l’occupation de
l’Irak par les Etats­Unis, explique­
t­il en faisant référence à son en­
gagement, dans les années 2000,
au sein de l’organisation Etat isla­
mique en Irak, qui combattait les
forces américaines déployées
dans ce pays. Mais, aujourd’hui, la
réalité sur le terrain est notre cadre
de référence. »

Pragmatisme
Ces déclarations, en rupture avec
la rhétorique du djihad global, re­
coupent les discours et les com­
muniqués produits par le groupe
depuis déjà plusieurs mois. HTC
se présente désormais comme un
groupe indépendant de la chaîne
de commandement d’Al­Qaida,
ancré dans la rébellion anti­As­
sad, mû par un programme sala­
fiste strictement national, et non
plus transnational. Une forma­
tion islamiste révolutionnaire sy­
rienne en quelque sorte.

Les prémices de cette mutation
remontent à 2016, lorsque le
Front Al­Nosra, en se rebaptisant
« Fatah Al­Cham », avait annoncé
son divorce d’avec la nébuleuse
djihadiste fondée par Oussama
Ben Laden. Le processus s’est
poursuivi l’année suivante, avec
la fusion de Fatah Al­Cham et de
quatre autres groupes armés
dans une nouvelle organisation,
Hayat Tahrir Al­Cham.
Ces changements de noms et de
discours ont été suivis d’actes. Les
cheikhs les plus extrémistes au
sein de HTC, qui sont souvent des
non­Syriens, ont été expulsés ou
marginalisés. Le mouvement
pourchasse les cellules de l’orga­
nisation Etat islamique, qui n’a ja­
mais pu s’implanter solidement
dans la région d’Idlib. HTC sur­
veille aussi un autre groupe djiha­
diste, Huras Al­Din, qui a récupéré
le label Al­Qaida et qu’il a forcé à
renoncer à tout projet de gouver­
nance autonome. Abou Moham­
med Al­Joulani refuse que son fief
serve de plate­forme à des atta­
ques vers l’étranger.
Le pragmatisme est aussi de
mise face à la Turquie, le parrain
des rebelles. HTC ne s’est pas op­
posé au déploiement de son ar­
mée dans la province d’Idlib à
partir de 2017. Même s’il a pu cri­
tiquer en public les divers cessez­
le­feu négociés depuis cette date
par Ankara avec Moscou, le pro­
tecteur de Damas, le groupe ne
s’y est jamais opposé activement
sur le terrain. C’est encore le cas
avec le dernier accord de trêve,
conclu la semaine dernière à
Moscou, entre le président russe,
Vladimir Poutine, et son homolo­
gue turc, Recep Tayyip Erdogan.
« HTC tente de se réinventer en
talibans syriens, explique l’ana­
lyste Ayman Dessouky, du centre
d’études Omran, en référence au
mouvement islamiste afghan,

autrefois protecteurs d’Al­Qaida,
avec qui les Etats­Unis ont fini par
ouvrir des négociations et signer
un accord de paix. Le groupe met
en avant sa capacité à empêcher la
réémergence de l’EI, pour s’impo­
ser comme un acteur légitime. »

Réorientation idéologique
La réorientation idéologique de
HTC s’étend à ses relations avec
les autres acteurs de l’enclave
d’Idlib. Devant l’ICG, Abou
Mohammed Al­Joulani a reconnu
des « erreurs » dans la manière
dont son groupe a traité avec les
ONG et les autres mouvements
d’opposition, civils et armés. Une
allusion aux pratiques hégémo­
niques de la faction, qui a imposé
sa loi à toutes les entités suscepti­
bles de lui faire de l’ombre.
Amorce d’un possible change­
ment d’attitude, Joulani, selon Ay­
man Dessouky, s’est réuni le
29 février avec une trentaine de
notables d’Idlib pour écouter
leurs doléances.
La Turquie veut croire que l’an­
crage territorial de HTC débou­
chera in fine sur son autodissolu­
tion. Cela suffira­t­il à ce que le ré­
gime syrien change ses plans et
renonce à reprendre le contrôle
d’Idlib? C’est fort improbable.
« L’argument du “terrorisme” a
toujours été un prétexte pour Da­
mas », rappelle Ayman Dessouky.
Mais cette évolution pourrait
convaincre Moscou de l’opportu­
nité de temporiser. Elle pourrait
permettre de résoudre la crise
d’Idlib de manière moins vio­
lente, à moyen terme, selon le
modèle utilisé par exemple à De­
raa. Dans cette région du sud de la
Syrie, les rebelles ont consenti au
retour des institutions et des
symboles du régime en échange
de l’octroi d’une forme d’autono­
mie locale.
b. ba.

de toute façon, le régime ne veut pas de nous.
Il n’y aura pas de retour, on le sait bien. »
Le voilà le message qu’envoient les damnés
d’Idlib. Leur exode n’est pas la conséquence
malheureuse d’une situation de guerre. Il est
le but même de la guerre. « Le régime Assad
veut tous nous mettre dehors, expose Abdel
Razek Awad. Il sait qu’il ne pourra jamais con­
trôler cette région tant que cette population,
qui lui est fondamentalement hostile, reste
sur place. Si personne ne l’arrête, il est capable
d’aller écraser jusqu’aux tentes de déplacés. »

GUERRE D’ÉLIMINATION
Conscients qu’ils font face à une guerre
d’élimination, persuadés tous ou presque
que la trêve ne durera pas, certains Syriens
d’Idlib tentent le tout pour le tout : la traver­
sée de la frontière turque. Une expédition
coûteuse et périlleuse, réservée aux têtes
brûlées. La plupart de ceux qui la tentent
sont renvoyés à la case départ, avec dans le
meilleur des cas quelques marques de
coups, infligés par les gardes turcs et, dans le
pire des cas, une balle dans le corps. Les
autres s’accrochent, se démènent, avec
l’énergie folle du désespoir. « Je préfère man­
ger des cailloux dans mon pays que de partir
en Allemagne », tempête Hasna.
La route d’Idlib, à un moment, enjambe la
ligne de chemin de fer Alep­Lattaquié.
Depuis le pont, on peut voir que les rails ont
été arrachés sur un tronçon de plusieurs
centaines de mètres. Les hommes qui ont
fait cela ont probablement revendu leur
butin à un ferrailleur. Mais surtout, sur le
talus où circulait le train, ils ont monté des
tentes. Ils ont logé leurs proches. Ce n’est pas
le plus beau des emplacements. Mais cette
position légèrement surélevée protège au
moins le camp des inondations. Idlib ou la
survie, obstinée, acharnée.
benjamin barthe
photos : lorenzo meloni

Le stade de football d’Idlib a été réquisitionné pour accueillir des déplacés.

Férial, 13 ans, à l’hôpital de Bab Al­Hawa, a été blessée par des éclats d’obus
dans le bombardement de son village.

Plusieurs personnes ont trouvé refuge sous le stade d’Idlib.

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