4 |international MERCREDI 11 MARS 2020
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bruxelles bureau européen
berlin correspondant
C
e ne fut pas tout à fait
une visite de courtoi
sie, mais pas non plus
un moment décisif.
Peutêtre, juste, le signe d’une
petite accalmie entre l’Union
européenne et la Turquie. La vi
site, à Bruxelles, lundi 9 mars, du
président Recep Tayyip Erdogan
a été rapide et a suscité des com
mentaires convenus de la part
d’Ursula von der Leyen et de
Charles Michel, les dirigeants de
la Commission et du Conseil
européens.
Les résultats? Maigres. Il s’agit
désormais, indiqueton du côté
européen, de « tenter de clarifier »
l’accord de 2015 sur la migration,
qui prévoyait qu’en échange de
6 milliards d’euros, la Turquie
abriterait des réfugiés syriens
chassés par la guerre, évitant
qu’ils tentent de rejoindre
l’Union. Une mission confiée au
haut représentant Josep Borrell, et
qui entraînera, selon Ankara, une
véritable révision de cet accord.
La semaine dernière, le prési
dent turc a déclenché une crise
qui couvait depuis longtemps en
encourageant des migrants à se
rendre à la frontière grecque.
M. Erdogan souhaite que ses par
tenaires occidentaux fassent da
vantage pour aider son pays dans
la guerre qu’il mène contre le ré
gime syrien et pour gérer les mil
lions de réfugiés qui ont gagné
son pays. Une pression jugée
inacceptable par les dirigeants
européens, contraints toutefois
d’avouer que tous les engage
ments qu’ils ont pris il y a quel
ques années n’ont pas été respec
tés. Notamment le fait qu’une
bonne partie de l’argent promis
pour les réfugiés (1,5 milliard) n’a
pas encore été versée aux organi
sations qui s’occupent d’éduca
tion, d’intégration ou de santé.
M. Erdogan atil exigé davan
tage d’argent lors de sa visite?
« Non », affirmeton du côté
turc. Mme von der Leyen et M. Mi
chel, eux, éludent. « Il y a beau
coup de nondits côté turc. No
tamment sur la situation écono
mique difficile du pays », com
mente une source proche de la
négociation.
Des nondits, aussi, en ce qui
concerne l’attitude d’Ankara à
l’égard des migrants. A la ques
tion de savoir si le président turc
s’était engagé à empêcher à nou
veau qu’ils gagnent la Grèce, tant
par la voie maritime que terres
tre, M. Michel a répondu que
« l’important est de mettre en
œuvre l’accord de 2015 ». En clair,
aucun engagement de la Turquie
n’a été acté.
« Grande préoccupation »
Pour le reste? « Le dialogue a
repris », se contenteton de sou
ligner du côté des VingtSept.
Rien de précis sur la levée de cer
taines barrières commerciales
ou une politique de visas plus li
bérale – qu’Ankara complique en
maintenant des lois antiterroris
tes contestées ou en refusant
d’inclure des données biométri
ques dans ses passeports. Peu
d’indications, aussi, sur ce « dia
logue politique à court, moyen et
long terme », évoqué à l’issue de
la réunion.
Les Européens promettent, en
revanche, de prendre mieux en
compte la préoccupation sécuri
taire de leur interlocuteur. M. Er
dogan a d’ailleurs aussi rencon
tré à l’ambassade de Turquie à
Bruxelles le secrétaire général de
l’OTAN, Jens Stoltenberg. Invité à
« montrer sa solidarité, sans dis
crimination et sans conditions
politiques », celuici a botté en
touche, rendant hommage à un
pays qui, plus que d’autres, a,
ditil « souffert d’attaques terro
ristes et d’un afflux de réfugiés ». Il
a assuré que le soutien de l’Al
liance atlantique se poursuivrait
mais exprimé toutefois sa
« grande préoccupation » quant
aux récents événements à la
frontière grécoturque.
Dimanche encore, M. Erdogan a
appelé la Grèce à « ouvrir ses por
tes » aux migrants et à les « laisser
aller » vers les autres pays de
l’Union. Le premier ministre
grec, Kyriakos Mitsotakis, en
avait conclu que l’accord de 2015
était « mort ». M. Stoltenberg n’a
rien dit de l’immixtion de la Tur
quie dans le conflit syrien, où elle
est en difficulté dans l’enclave
d’Idlib face à l’offensive des trou
pes d’Assad soutenues par la Rus
sie. Ni sur l’achat par Ankara de
systèmes antimissiles russes, in
compatibles avec les normes de
l’organisation transatlantique.
M. Michel, de son côté, a indi
qué que l’Union était prête à sou
tenir « toutes les solutions politi
ques » pour la stabilité de la ré
gion. Une discussion qui, comme
beaucoup d’autres, sembletil,
« devra certainement se poursui
vre », souligne Mme von der Leyen.
Il reste le problème dramatique
du sort des réfugiés coincés en
tre la Grèce et la Turquie. Tandis
que la Commission dit « se sou
cier » de leur fournir une aide et
que le premier ministre hon
grois, Viktor Orban, estime qu’en
réalité l’Union a suivi ses recom
mandations en fermant ses fron
tières, le gouvernement alle
mand a annoncé, de son côté,
qu’une coalition de pays « volon
taires » envisageait de prendre
en charge des enfants migrants
bloqués sur les îles grecques, où
38 000 personnes végètent dans
des camps surpeuplés. La France,
le Portugal, le Luxembourg et la
Finlande ont signalé leur volonté
de participer à l’opération.
La position arrêtée par Berlin,
dans la nuit de dimanche à lundi,
est le fruit d’un compromis diffi
cilement trouvé entre les conser
vateurs (CDUCSU) et les sociaux
démocrates (SPD). Au sein de la
CDUCSU, la pression était très
forte pour que l’Allemagne affi
che la plus grande fermeté, afin
de ne pas donner d’argument au
parti d’extrême droite Alterna
tive pour l’Allemagne (AfD). Au
SPD, à l’inverse, beaucoup esti
maient qu’un geste humanitaire
devait être fait, afin de ne pas
laisser le monopole du cœur aux
Verts, qui ont lancé une pétition
réclamant l’accueil, par l’Allema
gne, de 5 000 mineurs.
Finalement, le gouvernement
s’est donc mis d’accord sur la
prise en charge de 1 000 à 1 500
enfants, « soit sévèrement mala
des, soit non accompagnés et
âgés de moins de 14 ans et majori
tairement des filles ». C’est sur
l’insistance de la CDUCSU qu’il a
été décidé que la répartition de
ces enfants se ferait au sein d’une
coalition de pays « volontaires »
au sein de l’UE.
Une façon, à la fois, de réduire
le nombre de ceux qui seront ef
fectivement accueillis en Alle
magne et d’éviter que Berlin ne
fasse cavalier seul. Un point poli
tiquement très important afin, là
encore, de ne pas réveiller le sou
venir de la crise migratoire de
2015, lors de laquelle Mme Merkel
s’était vu reprocher d’avoir dé
cidé la nonfermeture des fron
tières du pays sans concertation
préalable avec ses partenaires
européens.
jeanpierre stroobants
et thomas wieder
Libye : le maréchal Haftar reçu en catimini par Macron
Le chef militaire, qui continue son offensive vers Tripoli, se dit à nouveau prêt à signer un cessezlefeu
P
rofil bas et faibles espoirs.
C’est ainsi que se caracté
rise l’accueil du maréchal
libyen Khalifa Haftar à l’Elysée,
lundi 9 mars. Cette visite, qui ne
figurait pas à l’agenda, n’a donné
lieu à aucun communiqué. La
présidence française a fait savoir
aux agences de presse que le chef
de l’Armée nationale libyenne
(ANL), lancée depuis avril 2019
dans une conquête du pays à par
tir de son flanc oriental, était prêt
à signer un cessezlefeu. A une
condition : que la partie adverse,
le gouvernement d’accord natio
nal (GAN), et les « milices de Tri
poli » à ses côtés, le respectent
également. La modestie de la
communication témoigne du
pessimisme ambiant.
La visite d’Haftar s’inscrit dans
le projet de Paris de « faire vivre les
conclusions du sommet de Berlin
[du 19 janvier] » sur la désescalade
du conflit, « qui n’a pour l’instant
rien produit », diton du côté fran
çais. Les combats se poursuivent
et le maréchal Haftar, soutenu
par les Emirats arabes unis et la
Russie – via le groupe paramili
taire privé Wagner – veut pousser
son avantage. Depuis qu’il a re
fusé, le 13 janvier à Moscou, de si
gner un cessezlefeu aux condi
tions du Kremlin, le chef de l’ANL
n’a plus l’appui russe en première
ligne, mais il grignote du terrain.
Le temps est aux armes
Ses engagements verbaux ont
donc une valeur relative. Audelà
de la cessation des hostilités, le
maréchal Haftar serait d’accord,
diton côté français, pour avaliser
les arrangements sécuritaires
prévus dans un document an
nexe à la déclaration de Berlin.
Elaboré par les Nations unies, ce
texte vise à définir les mécanis
mes d’un cessezlefeu, à démobi
liser les « combattants non li
byens », et enfin à démanteler et
réintégrer les groupes armés.
Le maréchal aurait aussi accepté
la tenue d’une « conférence interli
byenne d’où émergerait une solu
tion politique », sous l’égide de
l’ONU, précise une source fran
çaise. Après Paris, le maréchal
Haftar est attendu à Berlin, où il
doit s’entretenir mardi 10 mars
avec la chancelière Angela Merkel.
La stratégie française consiste à
creuser la distance naissante en
tre Haftar et Moscou. L’Elysée
pousse aussi à un compromis sur
les hydrocarbures : il s’agirait,
pour Haftar, de lever le blocage
des terminaux de Cyrénaïque
(Est) – immobilisés par ses forces
depuis la mijanvier – en échange
d’une distribution plus égalitaire
des revenus pétroliers entre ré
gions libyennes, sans passer par
la Banque centrale de Tripoli,
avant d’envisager la refonte de
cette institution, à terme. Mais le
temps est aux armes.
Les Turcs, qui ont transféré en
tre 3 000 et 4 000 mercenaires sy
riens en Libye au profit du GAN,
sont actuellement focalisés sur la
crise autour d’Idlib, à leur fron
tière. Haftar le sait, et il veut ex
ploiter cette séquence. Le 17 mars,
Fathi Bachagha, le ministre de
l’intérieur du GAN de Faïez Sarraj,
devrait à son tour être accueilli en
France, en signe d’équilibre qui ne
convainc pas les observateurs.
Pour Emmanuel Macron, la Li
bye est une suite de désillusions.
En juillet 2017, il avait reçu les
deux rivaux, Sarraj et Haftar, à La
CelleSaintCloud, qui s’étaient
engagés à un « cessezlefeu », le
premier d’une série. En mai 2018 à
Paris, une « feuille de route inclu
sive » avait été endossée par les
deux hommes, en compagnie du
président de la Chambre des re
présentants, Aguila Saleh, et de
celui du Conseil d’Etat, Khaled Al
Mechri. L’horizon était la tenue
d’élections présidentielle et légis
latives. Ce processus de réconci
liation n’a rien produit depuis.
Le maréchal Haftar a été ensuite
accueilli à l’Elysée en mai 2019.
M. Macron lui avait demandé de
« travailler à l’établissement d’un
cessezlefeu et à la reprise des né
gociations politiques ». Mais le chef
de l’ANL, lancé alors dans l’offen
sive contre Tripoli, n’était nulle
ment enclin au compromis. Début
mars, l’émissaire spécial de l’ONU,
Ghassan Salamé, a fini par démis
sionner, las de voir les parasitages
étrangers dans un conflit interli
byen déjà complexe.
Aujourd’hui, Paris cherche à « sa
turer l’espace politique afin d’aider
les Libyens à sortir du jeu turco
russe », selon une source fran
çaise. Dans cette optique, des capi
tales régionales – comme Alger –
pourraient aider, dans un rôle de
médiation. Mais pour l’heure,
comme en Syrie, ce sont les pays
avec des hommes armés au sol – la
Turquie et la Russie – qui parais
sent en position de force.
frédéric bobin
et piotr smolar
Paris cherche à
« saturer l’espace
politique afin
d’aider les
Libyens à sortir
du jeu turco-
russe », selon une
source française
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan (à gauche), accueilli par le président du Conseil de l’UE, Charles Michel,
et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Bruxelles, le 9 mars. JOHN THYS/AFP
L’Allemagne
a annoncé qu’une
coalition de pays
« volontaires »
envisageait
de prendre
en charge des
enfants migrants
Turquie : l’ex-maire d’une ville kurde
condamné pour « terrorisme »
Un tribunal turc a condamné, lundi 9 mars, à neuf ans et quatre
mois de prison l’ancien maire de Diyarbakir, la plus grande ville
du sud-est majoritairement kurde de la Turquie. Adnan Selçuk
Mizrakli était jugé pour « appartenance à une organisation
terroriste armée ». Il avait été élu en mars 2019 à la tête de
Diyarbakir, avant d’être destitué quelques mois plus tard par
les autorités qui l’accusaient de liens avec le Parti des travailleurs
du Kurdistan (PKK). Il avait été remplacé par des administrateurs
nommés par le gouvernement.
C O R É E D U N O R D
Pyongyang cherche
à attirer l’attention,
selon Séoul
Le dirigeant nordcoréen Kim
Jongun a supervisé, mardi
10 mars, un nouveau tir de ro
quettes de longue portée, se
lon l’agence nordcoréenne
KCNA. La Corée du Sud a vu
dans les derniers tirs de Pyon
gyang une tentative d’attirer
l’attention de Washington et
Séoul. Plus d’un an après le
fiasco du deuxième sommet
entre M. Kim et le président
américain, Donald Trump, la
Corée du Nord n’a cessé de
travailler au développement
de ses programmes d’arme
ment, estiment les experts. Le
ministère sudcoréen de l’uni
fication a indiqué que les trois
exercices que M. Kim avait su
pervisés ces deux dernières
semaines étaient ses premiè
res activités militaires depuis
le début de l’année. « Cela vise,
d’un point de vue interne, à
renforcer la solidarité et, d’un
point de vue externe, à attirer
l’attention des EtatsUnis et de
la Corée du Sud et à les pousser
à changer d’attitude », estime
Séoul. Pyongyang est sous le
coup de sanctions de l’ONU en
raison de ses programmes nu
cléaire et balistique. – (AFP.)
Erdogan exige
la refonte de son
accord migratoire
avec l’UE
Le président turc n’a pas pris
d’engagement définitif sur le respect
du compromis signé en 2016