22 // ENTREPRISES Mercredi 11 mars 2020 Les Echos
L’italien Clementoni, leader euro-
péen des jeux scientifiques, prend
une longueur d’avance en matière
d’écoconception. Le groupe italien
(182 millions d’euros de chiffre
d’affaires) vient de dévoiler une
gamme de jeux et de jouets 100 %
durables. Un mini scooter-trotteur
rose, des cubes La Reine des neiges,
des mangeoires d’oiseaux à cons-
truire : au total, une centaine de
produits en matériaux recyclés et
recyclables seront en magasin d’ici
à Noël. Il s’agit d’une première sur le
marché, au vu du nombre de réfé-
rences.
« Nos clients distributeurs ont été
surpris, car beaucoup de marques
proposent un ou deux produits, et
d’autres font des annonces pour
2030, indique Christophe Denis,
directeur général France. Nous
sommes des précurseurs. » D’autant
que ces jouets durables rassemblés
sous le logo « Play for Future » sont
très divers. Ils portent sur six gam-
mes différentes, du premier âge,
avec les jeux d’éveil, à ceux d’assem-
blage, ou encore aux puzzles.
Clementoni, qui est un groupe
familial, a pris un premier virage
dès 2014. « La famille, sensible à ce
enfants puissent le mettre à la bou-
che sans danger (dans l e respect des
normes européennes), le groupe a
fait appel à la filière électroména-
ger. « Nous utilisons les chutes ser-
vant à la fabrication de réfrigérateurs
et pas du plastique venant de la
grande consommation, précise Gay-
lor Cornuault. Cela favorise la traça-
bilité. » En intégrant des pigments
au moment du moulage, Clemen-
toni a réussi à proposer des jouets
en couleur. « Une performance
industrielle pour du plastique recy-
clé » , selon le groupe.
Ce nouveau cap a nécessité de
lourds investissements, tenus
secrets. Sur une trentaine de machi-
nes, cinq nouvelles ont été achetées
pour cette gamme, y compris pour
les emballages en carton recyclé –
avec un volet rabattable. Ce qui a
permis d’éliminer les films plasti-
ques. « Nos coûts o nt augmenté entre
10 % à 15 %, mais il n’y aura pas de
répercussion sur les prix, assure le
directeur général. Nous allons com-
penser en gagnant des parts de mar-
ché. »
Dès 2020, en France, Clementoni
espère que ses jouets durables lui
permettront de faire croître de 7 %
ses ventes. Car les parents sont de
plus en plus sensibles à cette
démarche. L’objectif du groupe est
dans les trois ans de faire passer de
10 % à 50 % son offre écologique.
Mais le pari n’est pas facile. « Pour
les jeux électroniques et les peluches
qui v iennent d e Chine, c’est difficile d e
garantir que 100 % des matériaux
sont b ien recyclés », reprend l e direc-
teur marketing. Pour l’instant, les
jouets Play for Future seront donc
made in Italie. — D. C.
Clementoni, l’expert des jeux
scientifiques mise gros
sur le créneau du jouet durable
Le fabricant italien, connu
pour ses jeux éducatifs,
lance une gamme de jouets
100 % en matériaux recyclés
et recyclables. Il va propo-
ser près de 100 jouets
écolos sur le marché d’ici à
Noël. Une première à cette
échelle, rendue possible
par une forte intégration
de la production de l’autre
côté des Alpes.
JOUET
Dominique Chapuis
[email protected]
Que faire pour que les jouets en fin
de vie ne finissent pas dans un gre-
nier ou à l’incinérateur? Fabricants
et enseignes ont obtenu un an de
sursis dans le cadre de la loi anti-
gaspillage pour répondre à la ques-
tion. Ils ont jusqu’à 2021 pour mettre
en place une collecte des vieux pou-
pons ou autres minicuisines, dont
une partie pourra être réparée et
remise dans les circuits. Pour le
reste, l’idée est de recycler le plasti-
que ou les autres matériaux qui les
composent.
En fait, c’est tout le modèle de la
fabrication des jouets qui est sujet à
question. Chaque année, 150.000
tonnes de jouets sont mises sur le
marché selon l’A deme, soit plus de
430 millions d’unités! Ce qui prend
en compte les achats des consom-
mateurs pour Noël ou autres anni-
versaires (environ 200 millions),
mais aussi les jouets offerts dans la
restauration rapide et en confiserie.
Sur cet ensemble, 120.000 tonnes
finissent comme déchets.
Derrière ces chiffres se cache un
modèle à part. Même si les enfants
se lassent vite, peu de jouets sont au
final jetés. « La durée de vie d’un
jouet est de 10 à 15 ans, car il y a un
côté affectif, souligne Michel Mog-
gio, directeur général de la Fédéra-
tion française des industries jouet
puériculture (FJP). Les parents les
gardent pour les transmettre,
d’autres préfèrent les donner ou les
revendre. » Selon une étude de l’Ins-
titut des mamans, seuls 5 % fini-
raient à la poubelle. Et 10 % seraient
réparés ou recyclés.
« En plus des circuits familiaux,
beaucoup d e choses sont déjà e n place
avec les vide-greniers, Internet et les
dons aux associations, constate Jean
Kimpe, délégué général de la Fédé-
ration des commerces spécialistes
de jouet. Le but est de systématiser
tout cela pour que ce gisement soit
repris. » Mais quid de la sécurité?
Le secteur est très encadré par des
normes européennes. Qui sera res-
ponsable pour un vieux jouet remis
dans le circuit? Sans compter qu’il
se démode. Un enfant aura-t-il
envie d’un modèle lancé il y a des
années? Souvent, mais pas tout le
temps. Chaque Noël, 40 % des pro-
duits vendus sont renouvelés.
Le recyclage des jouets est par
ailleurs compliqué. « Ce sont des
matériaux très résistants, il n’existe
pas encore de systèmes de traitement
au point », reprend Michel Mog-
gio. Côté collecte, la réflexion est en
cours. « Il y aura des dépôts dans les
magasins de jouets, mais ce ne sera
pas le seul point d’accès, car les gens y
vont en moyenne deux fois par an,
souligne Jean Kimpe. Les écoles
pourraient être un autre circuit. »
Hasbro a lancé une initiative cet
été avec l’enseigne PicWic et un site
spécifique pour récupérer ses vieux
Monopoly ou autres Monsieur
Patate et les envoyer ensuite à
TerraCycle. « C’est la question de
tous ces jouets avec lesquels nos
enfants ont joué et dont ne sait plus
quoi faire, expliquait récemment
Hélène Kurtz, la directrice marke-
ting sur France Info. L’objectif est de
se donner l’opportunité de les voir
transformés en mobilier de jardin ou
en petite table pour les enfants. Et
d’avoir une seconde vie. »
Cette loi anti-gaspillage est aussi
un moyen d’interpeller les fabri-
cants sur l’écoconception. Dans
un marché dominé par les géants
américains, la démarche a pris du
retard. Le groupe danois Lego s’est
engagé il y a des années. Ses premiè-
res briques « vertes », à base de
canne à sucre, ont été lancées à la fin
2018 et pèsent 2 % de sa production.
Mattel vient d’annoncer le lance-
ment d’une ligne Mega Blocks à base
de plastique bio. Pas de poupée Bar-
bie écolo en vue à ce jour, en revan-
che. « C’est un sujet dont tout le
monde parle, estime Najib Michel
Fayad, président de Splash Toys. A u
dernier Salon mondial du jouet à
Nuremberg, pas plus de 5 % des pro-
duits étaient écoresponsables. » Le
changement p rendra d u temps, sur-
tout pour les groupes travaillant
avec une offre large. Et dans un con-
texte où 75 % de la production est en
Chine. « Il y a une prise de conscience
qui a débuté avec la réduction d u plas-
tique dans les emballages, estime
Michel Moggio. Aujourd’hui, cela
commence à atteindre le produit. »
Un plus sur l’étiquette
A défaut de moyens illimités, les
PME bénéficient souvent de plus
d’agilité, comme Clementoni (lire ci-
dessous). Splash Toys, de son côté,
va proposer ce Noël des peluches
100 % biodégradables. « C’est un tra-
vail de longue haleine, car il implique
une chaîne qui va des matières pre-
mières aux composants, à l’embal-
lage » , note le patron.
En France, les fabricants s’adap-
tent. « Ça se fera ligne de produits par
ligne de produits, estime Alain Ing-
berg à la tête de l’association des
fabricants français. Au final, cela
sera un atout de mettre en avant des
jouets écolos. » A partir de 2021, les
marques seront soumises à une éco-
contribution pour financer cette
filière recyclage. Nul doute qu’elle
sera r épercutée sur le prix de
jouets.n
lChaque année, 120.000 tonnes de jouets sont jetées. La loi anti-gaspillage a donné un an de sursis à la filière pour
organiser une collecte. La loi est une incitation pour les fabricants à développer des lignes de produits responsables.
lUne démarche dans laquelle les géants mondiaux, excepté Lego, ont pris du retard.
Le recyclage et la réparation
des vieux jouets à un tournant
150.000 tonnes de jouets sont mises sur le marché chaque année, soit plus de 430 millions d’unités.
75 % de la production vient de Chine. Photo iStock
thème de l’environnement, a lancé à
l’époque un programme interne à
l’entreprise pour réduire l’utilisation
en eau ou limiter l’usage des trans-
ports, souligne Gaylor Cornuault, le
directeur marketing. Le projet de
100 % de jouets durables date, lui, de
2018. C’est un nouveau chapitre. »
90 % de production
en Italie
Le fabricant, qui écoule 28 millions
de jouets par a n, dont 6 5 % à l’export,
est allé très vite. Un tour de force l ié à
la forte intégration de sa production.
« 90 % de nos jouets sont fabriqués
dans notre usine en Italie, ce qui nous
offre une grande flexibilité , reprend
Christophe Denis. Si nous avions dû
passer par des sous-traitants chinois,
ça aurait été plus compliqué. Nous
avons aussi la maîtrise de notre filière
d’approvisionnement pour les matiè-
res premières. »
Des matériaux recyclés, comme
le plastique, achetés en Italie. Pour
s’assurer de sa qualité, et que les
« Pour les jeux
électroniques et
les peluches qui
viennent de Chine,
c’est difficile de
garantir que 100 %
de matériaux sont
bien recyclés. »
GAYLOR CORNUAULT
Directeur marketing
de Clementoni