30 // FINANCE & MARCHES Mercredi 11 mars 2020 Les Echos
Anne Drif
@Anndrif
Fa ce aux effets de la crise déclen-
chée par le coronavirus, Rothschild
& Co se fait prudent. Mais rassu-
rant. Après un exercice 2018 record,
la banque d’affaires a présenté des
revenus en repli l’an dernier (–9 %
en conseil financier, à 1,16 milliard
d’euros, et – 5 % globalement, à
1,872 milliard d’euros en 2019). Un
niveau comparable aux années p ré-
cédentes. Son résultat s’affiche lui
aussi en baisse de 15 %, à 243 mil-
lions d’euros, en relatif à l’année
précédente qui avait été plutôt
exceptionnelle. Le moteur du
groupe, le M&A, a toutefois accé-
léré en fin d’année.
Le groupe a clôturé l’exercice sur
un dernier trimestre 2019 histori-
que en conseil financier (394 mil-
lions d’euros de revenus) et
démarré l’année avec trois grosses
opérations en France : Covéa, Inge-
nico et Alstom. Le nom de la ban-
que est également cité dans la plu-
part des grandes transactions de
capital-investissement ou
réflexions dépassant le milliard
d’euros, telles que Curium, DRT,
CEP, ou Elsan.
Moment opportun
pour investir
Fr ançois Pérol, managing direc-
tor de Rothschild & Co, est néan-
moins prudent : « Ce qui s’est
passé est une correction massive et
si l’épidémie continue de se diffu-
ser, nous ne sommes pas à l’abri
d’une récession. Nos perspectives
ne seront plus les mêmes. » Mais le
marché du M & A reste à ses yeux
robuste. « Les opérations déjà
engagées sont plutôt solides. Leur
probabilité de réalisation est forte
et leur financement n’est pas en
BANQUE
La banque d’affaires
a clos 2019 sur
le meilleur trimestre
de son histoire
en conseil financier.
A ce stade, la crise
ne remet pas en cause
les opérations de
M&A engagées.
Rothschild & Co reste confiant
malgré la crise
cause. Si la situation d’instabilité
des marchés persiste en revanche,
elle peut impacter les outils de pro-
duction et la demande, et potentiel-
lement affecter le volume d’affaires
nouvelles », poursuit-il. Des
opportunités peuvent aussi se
présenter. « Il e st trop tôt à ce stade
pour déterminer si les secousses de
marché peuvent générer une vague
de cessions. En revanche, pour des
investisseurs de long terme, il peut
être opportun de s’interroger si
c’est le bon moment p our investir. »
En banque privée et gestion
d’actifs, les secousses de marché
jouent à sens multiples. « A très
court terme, l’effet est positif car la
volatilité croît et nécessite un recours
plus important à des produits struc-
turés. Mais si la correction devait se
poursuivre, nous pourrions obser-
ver un impact », souligne François
Pérol. En 2019, la collecte nette s’est
élevée à 2,4 milliards d’euros et les
actifs sous gestion ont augmenté
de 17 %, à 76 milliards d’euros. Sur-
tout l’inflexion menée par Alexan-
dre de Rothschild contribue à con-
tenir les effets des retournements
de conjoncture. Le capital-investis-
sement représente un tiers de
résultats.n
Rothschild & Co a démarré l’année avec trois grosses opérations en France : Covéa, Ingenico
et Alstom. Photo Xavier Popy/RÉA
déploiement de la police dans
certains Etats.
Derrière la façade bleue de
l’agence de Moolchand, plus d’une
dizaine de clients attendent à l’inté-
rieur afin de retirer du liquide au
guichet. Pour les trente jours à
venir, l es u sagers n e sont p as a utori-
sés à retirer plus de 50.000 roupies,
soit environ 600 euros. « Mon
salaire arrive sur ce compte en ban-
que et j’ai besoin de savoir si je vais
pouvoir payer mes factures » , pour-
suit Nishta avant de s’e ngouffrer
dans un rickshaw avec sa mère.
Fi les de clients inquiets
La ministre des Finances, Nir-
mala Sitharaman, a tenu ven-
dredi à rassurer les déposants,
affirmant que leur argent était
en sécurité. Et moins de 24 heu-
res après la mise sous tutelle de
la banque, la RBI a dévoilé son
plan de restructuration qui
devrait être mis en place sous
30 jours. La State Bank of India
(SBI), le plus gros prêteur du
pays, annoncé samedi qu’il
devrait investir 24,5 milliards de
roupies (environ 290 millions
d’euros) pour prendre une parti-
le secteur financier n on bancaire,
spécialisé dans le secteur des
infrastructures. Ces acteurs ont
connu un développement specta-
culaire depuis les années 2000,
profitant notamment des faibles-
ses du secteur bancaire.
Problèmes de gouvernance
Ye s Bank, minée p ar des créances
douteuses, tentait depuis plu-
sieurs mois d’augmenter son
capital afin de rester dans les
clous réglementaires. La fai-
blesse de sa position financière
est « largement due à l’incapacité
de la banque à lever du capital afin
de faire face aux p ertes potentielles
ou défauts de paiement et à la
dégradation des n otes qui e n résul-
tera » , a déclaré vendredi la RBI,
mettant également en cause des
problèmes de gouvernance.
Le domicile du fondateur de Yes
Bank, Rana Kapoor, mis à la porte
en janvier 2019 e t accusé de b lanchi-
ment d’argent, a d’ailleurs été per-
quisitionné vendredi. Réputé pour
sa s tratégie agressive en plein boom
de l’économie indienne, le banquier
a longtemps été apprécié des inves-
tisseurs étrangers.n
Sauvetage de la quatrième banque
commerciale indienne
Carole Dieterich
— Correspondante à New Delhi
« Nous ne pouvons effectuer
aucun paiement par carte ban-
caire, tout est bloqué et, pour le
moment, je ne sais pas ce qui va se
passer » , explique Nishta, devant
son agence Yes Bank, située à
Moolchand, dans le sud de New
Delhi. Vendredi, suite à
l’annonce de la mise sous tutelle
de la quatrième banque commer-
ciale du pays par la Reserve Bank
of India (RBI), des files de clients
inquiets se sont formées devant
de nombreuses agences du
groupe, obligeant même le
BANQUE
Après avoir été placée
sous tutelle de la
banque centrale
indienne, Yes Bank,
quatrième banque
commerciale du pays
va être sauvée par
la banque publique
State Bank of India.
cipation de 49 % au capital de
Yes Bank.
La banque publique indienne
étudie actuellement la proposition
de restructuration et y apportera
des réponses dès lundi, a déclaré ce
week-end Rajnish Kumar, le prési-
dent de la State Bank of India.
« Nous examinons une institution
bancaire et la question est celle de sa
survie. Nous devons intervenir. La
laisser faire faillite entraînerait un
énorme effet de contagion » , a-t-il
affirmé.
L’Inde est en proie à une crise
de liquidité causée par le quasi-
effondrement en 2018 de IL & FS,
l’un des plus gros établissements
indiens du « shadow banking »,
Yes Bank, minée
par des créances
douteuses, tentait
depuis plusieurs mois
d’augmenter son
capital afin de rester
dans les clous
réglementaires.
tenu des délais qui s’imposent, le
texte devant passer au Conseil
d’Etat, au Parlement et potentiel-
lement au Conseil constitution-
nel. Elle risquerait en outre de
porter atteinte de manière dis-
proportionnée au droit de pro-
priété de l’actionnaire. Celui-ci
peut, en effet, participer aux
assemblées générales et même
activement s’il le souhaite. Parmi
les pistes évoquées figure aussi la
possibilité que chaque société
demande à la justice de désigner
un mandataire pour représenter
les actionnaires qui ne pourront
se déplacer. Mais cette solution
semble également compliquée
à mettre en place.
Une boîte à outils
pour chaque entreprise
Be rcy, qui a ouvert le dossier il
y a moins d’une semaine, cher-
che encore la solution idoine.
« Il existe une b oîte à outils dispo-
nible qui permet aux entreprises
de s’organiser » , indique une
source proche du ministère. En
clair, les sociétés peuvent tout à
fait inviter leurs actionnaires à
rester chez eux. Vendredi der-
nier, l’Autorité des marchés
financiers (AMF) a d’ailleurs
rappelé aux actionnaires qu’il
leur est possible de voter aux
AG sans y être physiquement
présent (par correspondance
ou par procuration) et qu’ils
peuvent déposer des questions
écrites. Elle a recommandé aux
émetteurs cotés de « retrans-
mettre en direct » leur assem-
blée sur leur site Internet.
Concrètement, il devrait être
possible de faire tomber le
nombre de participants à
moins de 1.000. « Une bonne
partie du public présent physi-
quement est constituée d’une
masse de très petits porteurs, qui
ont acheté quelques actions cha-
cun et ont plaisir à profiter du
cocktail qui suit généralement
l’assemblée ainsi que du cadeau
qui est remis aux présents » ,
explique Bruno Dondero. Il
suffirait de faire savoir que,
cette année, le cocktail et le
cadeau seront supprimés.n
Laurence Boisseau
@boisseaul
Branle-bas de combat dans les
grandes entreprises cotées. La
saison des assemblées générales
(AG) des groupes du CAC 40
va démarrer le 8 avril, avec celle
de Vinci. Or, depuis lundi, pour
lutter contre la propagation de
l’épidémie de coronavirus, les
rassemblements de plus de
1.000 personnes sont interdits.
L’an dernier, 13 sociétés avaient
réuni pour leur grand-messe
annuelle plus de 1.000 action-
naires. Parmi elles, Sanofi,
Michelin, LVMH, Renault, Saint-
Gobain. A l’AG d’Air Liquide, ce
sont même 4.000 personnes
environ qui étaient présentes.
LVMH (propriétaire des
« Echos ») est la première e ntre-
prise de cette liste à tenir son
assemblée, le 16 avril. Cette
situation n’a pas échappé aux
organisations patronales.
L’Afep, le Medef et l’Ansa ont
fait part à Bercy de leurs préoc-
cupations. L a loi i mpose en effet
que les AG a ient l ieu d ans l es six
mois qui suivent la clôture des
comptes, soit avant le 30 juin.
Mais reporter une assemblée
générale décale automatique-
ment le versement du divi-
dende, dont certaines sociétés
de gestion ont besoin pour
financer leurs activités.
Des AG à huis clos
Se lon nos informations, les
organisations patronales ont
fait des propositions au minis-
tre de l’Economie pour que les
AG puissent se tenir. Parmi
les pistes évoquées : un projet
de loi qui rendrait possible la
tenue des AG à huis clos (ce qui
n’est pas possible aujourd’hui).
Celui-ci admettrait que « lors-
qu’une assemblée est convoquée
dans un lieu concerné par une
interdiction de rassemblement
pour des motifs sanitaires, elle
pourrait se réunir hors de la pré-
sence physique des actionnai-
res » , explique Bruno Dondero,
professeur d e droit à l’université
Paris-I Panthéon Sorbonne et
associé au sein du cabinet CMS
Francis Lefebvre Avocats, qui a
participé à la rédaction du texte.
Dans l’immédiat, Bercy, qui
s’est emparé du sujet, ne serait
pas décidé à suivre cette solution
législative, peu réaliste compte
GOUVERNANCE
En 2019, 13 sociétés
avaient réuni plus
de 1.000 actionnai-
res pour leur
assemblée générale.
Les organisations
patronales ont fait
des propositions
à Bercy pour que
les AG puissent
se tenir malgré
l’interdiction des
rassemblements.
Le coronavirus
perturbe
les assemblées
générales
La banque scandinave SEB
a décidé d’écourter son AG
C’est une première. La banque SEB doit tenir son AG
le 23 mars. Par mesure de précaution pour éviter une
propagation du virus, elle a prévu d’annuler les rendez-
vous informels entre dirigeants et actionnaires qui se
tiennent habituellement avant l’AG. Elle limitera aussi
le temps de parole des intervenants et a fait savoir
qu’elle n’offrirait pas de buffet à la fin de la réunion.
« Une bonne
partie du public
présent est
constituée d’une
masse de très
petits porteurs,
qui [...] ont
plaisir à profiter
du cocktail qui
suit l’assemblée
ainsi que
du cadeau
qui est remis
aux présents. »
BRUNO DONDERO
Professeur de droit
à l’université Paris I
Panthéon Sorbonne
Lazard choisi par l’Argentine et le Liban
Le départ de Matthieu Pigasse n’a pas
empêché Lazard de remporter deux man-
dats prestigieux dans le conseil aux Etats.
La banque a été choisie par l’Argentine
et le Liban, deux pays au bord de
la faillite. Selon le journal libanais
« L’Orient-Le Jour », pas moins de douze
boutiques étaient en lice pour épauler le
gouvernement d’Hassan Diab. Le grand
concurrent de Lazard, Rothschild & Co,
faisait partie des candidats, de même que
Global Sovereign Advisor – créé il y a un
an par Anne-Laure Kiechel, la « ban-
quière de la Grèce », qui officiait aupara-
vant chez Rothschild. Lazard a bénéficié
de sa présence de longue date au Liban
et du travail effectué par François Kayat,
ce Franco-Libanais devenu coprésident
non exécutif de la banque en France l’an
dernier. L’Argentine, qui s’achemine
vers le neuvième défaut de son histoire,
a aussi fait le choix de la banque la plus
expérimentée dans les opérations
de dette. Buenos Aires et Beyrouth ont
tous les deux pris comme avocats-conseils
le célèbre cabinet américain Cleary
Gottlieb, qui a aidé presque tous les Etats
asphyxiés financièrement. – I. Co.