L
e désert était devenu son obsession.
Depuis toujours, elle avait l’impres-
sion que c’était le lieu où son âme
serait totalement en paix, peut-être parce
que lors de son voyage de jeunesse, la course
aux aventures d’un autre ordre l’avait gardée
loin du désert, qu’elle avait visité briève-
ment, sans y porter tout à fait attention.
Florence avait passé une décennie à penser
à ce voyage, mais entre les obligations fami-
liales et professionnelles, elle avait un peu
mis de côté ce désir du Sahara. Pourtant,
comme une vérité première, il était toujours
quelque part dans ses pensées et quelque
chose lui disait que le jour où elle y mettrait
les pieds, un évènement grandiose viendrait
tout changer, comme dans le livre d’Éric-
Emmanuel Schmitt, La nuit de feu. Cette nuit-
là, l’écrivain avait vécu une véritable méta-
morphose intérieure qui avait modifié à
jamais le cours de sa vie.
C’était l’année de ses quarante ans, le
milieu d’une vie. Les nombreuses et pénibles
visites dans les cliniques de fertilité avaient
porté fruit: enceinte, elle filait le parfait bon-
heur avec sa fille, Sarah, et son mari. Aller au
désert enceinte, c’était plus que ce qu’elle
avait imaginé et souhaité. Martin n’avait pas
pensé deux fois quel cadeau lui faire: ça se-
rait un voyage au désert! Sauf qu’une se-
maine avant le départ, Sarah avait attrapé
une vilaine pneumonie et tout le monde lui
déconseillait de prendre l’avion. Mais
Florence était confiante et peut-être même
clairvoyante: il fallait que cette enfant fragile
voie l’étendue du désert pour renforcer son
système immunitaire.Leur départ était prévu quelques jours
avant Noël. Florence était fatiguée de son
quotidien et de ces trahisons que la vie
amène parfois inévitablement. Elle réalisait
que ce qui comptait le plus à ses yeux, c’était
son noyau familial sacré et intouchable
qu’elle tenait absolument à agrandir.
Contrairement à sa femme, Martin n’était
ni spirituel ni mystique, mais il avait ses
propres intuitions: quand quelque chose ne
se donne pas facilement la première fois, il y
a anguille sous roche. «Ma chérie, je pense
qu’on devrait vraiment laisser tomber ce
voyage et le faire un peu plus tard.» À vrai
dire, elle ne l’avait jamais vu aussi hésitant
face à un voyage. Elle n’arrivait pas à détermi-
ner la source de sa peur: était-ce l’étendue du
désert ou son incapacité à déconnecter de
tout? Il était toujours suspendu à son télé-
phone, guettant le moindre «ping» qui l’aver-
tissait qu’on avait besoin de lui. Justement, ça
lui ferait du bien, pensait-elle tout bas, de
laisser tous ses tracas de côté pour se concen-
trer sur l’essentiel, c’est-à-dire sur sa petite
famille en mode expansion.
La traversée de l’Atlantique fut turbu-
lente: Florence avait passé les sept heures
jusqu’à Casablanca à vomir, et Martin ne
savait plus où se mettre, tellement tous les
regards étaient tournés vers eux. Elle est
enceinte, disait-il autour de lui, comme
pour s’excuser pour le désagrément que cet
état second pouvait causer aux voyageurs
soucieux de leur petit bien-être individuel.
Les grandes villes, Casablanca, Marrakech,
Fez, Agadir et Essaouira n’intéressaient pas
Florence. Elle les avait visitées avecTempête
de sable
Par Maya Ombasic62 |
NOVEMBRE 2020
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