ILLUSTRATIONS: ANNICK POIRIER/C.
Anne-Marie, son amie d’enfance, et elle avait
hâte de retrouver le désert, comme on re-
trouve un vieil ami. Cette étrange sensation
de déjà-vu pour un lieu qu’elle ne connaissait
pas traversait tout son être. Martin tenait
quand même à connaître Marrakech et, après
trois nuits à Riad dans la médina, Florence
avait jubilé quand le brouhaha de la civilisa-
tion avait enfin disparu derrière les cimes du
Moyen Atlas pour laisser la place à la majesté
du silence. Ils avaient passé trois autres nuits
dans l’avant-dernier village, à la porte du
désert. Mais quand le dernier bout d’asphalte
avait lui aussi été englouti par les dunes,
Martin commença à ressentir un profond
malaise. Le signal sur son cellulaire serait
intermittent pendant quelques jours. Alors
que Florence se connectait au désert, Martin,
lui, devrait se débrancher. Embêté, il s’isolait
souvent sous la tente, prétextant une fatigue
soudaine. Les Bédouins qui les accompa-
gnaient riaient aux éclats. «Tu es fatigué?
demandaient-ils. Ce n’est quand même pas
toi, la femme enceinte, ici!» Mais Martin avait
le vertige du vide au-dessus de sa tête: le ciel
était tellement omniprésent qu’il disait avoir
l’impression de tomber dans la nuit du cos-
mos. Dès qu’il le pouvait, il se réfugiait dans
sa tente. Pendant ce temps-là, Florence et
Sarah dévalaient les dunes de l’erg Chegaga et«Il suffisait d’un simple
glissement du pouce
pour qu’une conversation
romantique, intime et
érotique défile sous ses yeux,
une trahison si puissante
qui prit la forme d’un serpent
lui sautant à la gorge pour
ensuite aller mordre son
ventre rond et innocent.»
mordaient dans la lumière ocre du désert
comme on croque dans une pomme d’au-
tomne. La petite Sarah s’y sentait chez elle.
Comme une enfant du désert, elle collait aux
talons de Nourdine, le Bédouin en chef de
leur expédition qui lui livrait les secrets du
Sahara avec sagesse et douceur.
Un après-midi, Florence ressentit une
petite fatigue, sans doute causée par son état.
Elle laissa Sarah et Nourdine compter les
fourmis sur la dune pour aller faire la sieste
avec Martin. C’était le moment idéal pour se
retrouver. Quand elle pénétra dans la tente,
Martin était en train de dormir profondé-
ment, mais son téléphone n’arrêtait pas de
recevoir des messages. Florence voulut
l’éteindre quand la messagerie afficha le vi-
sage d’une femme inconnue. Il suffisait d’un
simple glissement du pouce pour qu’une
conversation romantique, intime et érotique
défile sous ses yeux, une trahison si puissante »»| 63
NOVEMBRE 2020
COUPDEPOUCE.COM"""''''"