Coup de Pouce - (11)November 2020

(Comicgek) #1
qui prit la forme d’un serpent lui sautant à la
gorge pour ensuite aller mordre son ventre
rond et innocent. Elle se mit à hurler, sa dou-
leur était tellement forte et insupportable
qu’elle eut l’impression qu’elle avait provoqué
la tempête de sable qui montait au loin. Pour
se protéger des grands vents qui couchaient
presque la tente, Florence glissa sur le sol.
Immédiatement, elle sentit un filet chaud
couler le long de sa jambe droite. Lorsqu’elle
aperçut le sang, elle perdit conscience.
La tempête de sable dura trois jours, les
obligeant à rester sur place et à suivre les
consignes des Bédouins qui avaient dans leur
équipe une sage-femme d’expérience.
Lorsque Florence ouvrit enfin les yeux, elle
remarqua que la sage-femme portait à son cou
un collier berbère. Le pendentif consistait en
un cercle de métal, au centre duquel une spi-
rale tournait sur elle-même. Pour nous, les
gens du désert, l’eau est sacrée parce que c’est
une denrée rare. Pleurer est un péché. Ce col-
lier représente la spirale de la vie. Au centre, il
y a un point de départ, mais dès qu’on le fixe,
il se dérobe. C’est comme l’eau du désert: on
ne devrait jamais s’abreuver à la même source.
Dans le désert – comme dans la vie – on doit
rester en mouvement, chercher la prochaine
source sans regarder derrière soi. En silence,
pour calmer les pleurs intarissables de
Florence, la sage-femme fit glisser son collier
autour du cou de sa patiente. Un talisman
qu’elle n’enlèverait plus jamais.
Dépassé par la situation, Martin a filé en
douce, laissant Sarah chez ses parents, le
temps que Florence reprenne des forces. Il lui
a offert une séparation à laquelle Florence,
épuisée, ne s’est pas opposée. C’était l’hiver
de toutes les déceptions. Au milieu d’une
tempête de sable, sa vie avait atteint un point
de bascule qu’elle n’aurait jamais pu imagi-
ner. Ses rêves de famille, son mariage, sa pe-
tite tribu en expansion, tout ça n’avait plus
aucun sens. L’année de ses quarante ans, au

À PROPOS


de l’auteure


MAYA OMBASIC est née en
Bosnie-Herzégovine, en 1979.
Docteure en lettres et professeure
de philosophie, elle a notamment
publié Chroniques du lézard
et Mostarghia. Son prochain roman
sortira en 2021, chez VLB.

creux d’une dune, elle était devenue une
femme libre, à l’avenir aussi ouvert que les
quatre points cardinaux.
Au printemps, Sarah de retour auprès
d’elle, Florence commença à prendre du
mieux. Une fin de semaine, elle avait décidé
de sortir de la maison et d’aller célébrer la
bar-mitsva du fils de sa cousine, à Brooklyn.
C’était peut-être la première fois en six mois
que le goût de la vie lui revenait. Soudain, une
poussière fine se colla sur ses doigts, sur son
visage, dans ses cheveux et partout autour
d’elle, comme si une mince couche de sable
avait recouvert toute la ville de Brooklyn. Sa
cousine s’empressa de lui montrer, sur son
téléphone, l’étrange phénomène météorolo-
gique: un immense nuage chargé de pous-
sière provenant du désert du Sahara avait
traversé l’océan Atlantique pour venir se dé-
poser en Amérique du Nord. Pendant que sa
cousine jubilait, disant que Moïse, au cours
de sa traversée du désert, avait sans doute dû
vivre quelques tempêtes du genre, Florence
avait cette étrange impression que c’était la
même tempête au milieu de laquelle tout
avait commencé qui avait survolé l’océan
pour lui dire quelque chose. Sarah, en voyant
le sable s’écria: «Maman, c’est Nourdine qui
nous appelle!» •

64 |


NOVEMBRE 2020
COUPDEPOUCE.COM

Ma vie | NOUVELLE LITTÉRAIRE |


I I


I I

Free download pdf